Dans les campagnes, « nous pouvons reproduire de petites sociétés autogérées »

Geneviève Pruvost est sociologue du travail et du genre au Centre d’étude des mouvements sociaux (EHESS). Elle a publié Quotidien politique – Féminisme, écologie, subsistance éd.La Découverte) en 2021.

Reporterre — Geneviève Pruvost, comment vit-on aujourd’hui sans téléphone portable ?

Geneviève Pruvost — (rires) Eh bien, quand on n’a jamais eu de téléphone portable, on reste dans la continuité de ses habitudes. Et c’est mon cas, tout simplement. J’ai un carnet d’adresses. Et surtout j’emprunte, puisqu’il n’y a plus de cabines téléphoniques. Les personnes sont tellement étonnées que je n’en aie pas — je leur fais même faire le numéro tellement je suis incapable de faire cela avec mes doigts, du coup cela crée des occasions de rencontres.



Et cela ne vous gêne pas dans votre vie professionnelle, dans votre vie personnelle ?

Je suis beaucoup sur mon ordinateur. J’utilise le mel comme une messagerie et pour fixer des rendez-vous. Pourtant je suis allée dans des ruralités où il n’y a pas forcément d’indications, mais je fais des plans à l’ancienne. Et, c’est pareil pour conduire : je n’ai pas besoin d’un GPS. J’ai mes petits plans, je m’arrête, je demande. Ce n’est vraiment pas gênant. Chaque fois que j’en ai besoin, deux minutes après, mon problème se résout. Et cela me confirme dans le fait que le portable n’est pas nécessaire.



Je vous pose cette question parce que vous avez écrit Quotidien politique. Et le téléphone portable fait partie du quotidien du XXIᵉ siècle aujourd’hui. Pourquoi la vie quotidienne est-elle politique ?

Henri Lefebvre est un intellectuel, un sociologue marxiste qui a commencé à écrire dans les années 1950. Il a travaillé sur la notion de quotidien. Et pour lui le quotidien, c’est un régime d’attention : on ne réfléchit pas en permanence qu’on doit manger, qu’on doit aller d’un endroit à un autre, on utilise de façon incorporée un certain nombre d’habitudes. Mais ce quotidien est politique parce qu’il est fortement appareillé, c’est-à-dire qu’il est soumis à une matérialité qui rend possible de mettre en veille sa vigilance. Cette matérialité évolue dans le temps, profondément même. Lefebvre en fait la tête de pont de l’invasion capitaliste : le capitalisme va s’attaquer aux entreprises, à l’État, mais va aussi nous produire en tant que consommateurs et consommatrices. Et donc, l’intégralité de notre quotidienneté qui nous semble tout à fait anodine, des gestes fondamentaux…

La suite est à lire sur: reporterre.net
Auteur: Hervé Kempf Reporterre