Dans mon champ, je cherche à sortir de cette religion du désespoir

Le néopaysan Mathieu Yon est chroniqueur pour Reporterre. Il vous raconte régulièrement les joies et les déboires de son installation dans la Drôme en tant que maraîcher biologique en circuit court.

« Nous ne pouvons retirer le filet dans lequel nous sommes pris », écrivait Walter Benjamin à propos du capitalisme et de son emprise. Les alternatives, comme l’agriculture biologique, deviennent des niches bourgeoises, les retours à la terre font monter les prix du foncier, notre soif de sauvage s’enferme dans des réserves. Chaque mouvement de sortie du capitalisme est pris dans la nasse. Pour Walter Benjamin, le capitalisme est une nouvelle religion dont la particularité est de n’avoir aucun dogme : seulement un culte permanent et sans trêve qui ne cherche plus une « réforme » de l’être, mais sa « dévastation ».

L’une des formes les plus populaires de cette religion se trouve dans les centres commerciaux : où l’agencement rationnel des produits, où les chariots en matière plastique poussés par des humains en quête de nourriture et de vêtements témoignent d’un désespoir de l’être. Dans ces lieux de culte, nous vénérons notre propre culpabilité : éprouvant une frustration constante à l’intérieur même d’un débordement d’abondance.

Les formes élitistes de cette religion provoquent elles aussi une dévastation de l’être : dans les yachts luxueux exhibant la misère intérieure des milliardaires, dans les palaces capitonnés calfeutrant des solitudes abyssales. À travers la fascination collective pour les riches et les richesses, nous rendons un culte à notre propre extinction.

Sortir de la religion du désespoir

Dans mon travail de maraîcher, dans mon champ, je cherche à sortir de cette religion du désespoir. Cette sortie n’est pas un désenchantement, mais un réenchantement du monde. Mon travail quotidien me fait tenir debout, il m’aide à respirer. À travers lui, je reste du côté des vivants, et j’imagine des échappées.

En cette période hivernale, mon champ se vide peu à peu : il reste des choux-fleurs qui ressemblent à des boules de neige, de la mâche, des épinards, des radis rouges et de la roquette dans les serres. Je termine lentement la saison. Ce vide, je le ressens dans mon corps. J’attends que les jours rallongent, que les gelées s’espacent pour relancer les semis, les plantations : les fèves et les petits pois pour commencer, puis les carottes, les pommes de terre primeurs et les salades. Ces considérations toutes simples n’appartiennent pas au capitalisme. Elles préfigurent peut-être une manière d’être au monde sans dévastation. C’est peu de choses, mais je m’y accroche.

Je doute que la sortie de la religion…

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Auteur: Mathieu Yon Reporterre