D'Athènes à Kiev, mourir pour la patrie

Philipp Foltz. — « Oraison funèbre de Périclès », 1852.

Les grandes hécatombes du XXe siècle, les sombres délires du nationalisme ont donné un caractère ambigu à la célébration de la mort pour la patrie. Trop de morts, trop d’hypocrisie, dénonce-t-on depuis longtemps. Il suffit pourtant qu’un pays soit envahi pour inverser complètement le regard. Aux Ukrainiens qui se battent aujourd’hui contre une armée étrangère, il est impossible de dénier la motivation patriotique. Le scepticisme devient dérisoire devant l’acceptation de la mort. Comment contester à des morts le sens qu’ils ont donné à leur combat ?

Lire aussi Pavel Toper, « L’homme soviétique et la guerre », Le Monde diplomatique, mars 1974.

On doit à Thucydide, citant le grand stratège Périclès, la première expression formalisée du « mourir pour la patrie », expression qu’on trouve très succinctement mais tragiquement sur les stèles à la gloire des morts de la cité. Périclès avait été désigné pour prononcer, conformément à la tradition, l’éloge funèbre des premiers morts de cette guerre d’un quart de siècle. Protégés par leurs remparts, les Athéniens avaient assisté au pillage de leur territoire par les armées spartiates et leurs alliés. Tragique épreuve où toute la population devait se replier derrière les murs, et assistait, impuissante, à la destruction des récoltes et des maisons. Pourquoi s’infliger une telle épreuve ? Dans son discours, Périclès donna un sens à la guerre, un sens qui seul pouvait justifier d’y sacrifier sa vie.

Les hoplites tombés sur le champ de bataille en Attique et ailleurs étaient morts pour leur patrie, dit Périclès, dessinant les qualités qui justifiaient ce sacrifice. Le tableau de la grandeur d’Athènes prenait des accents très mêlés : à la beauté de ses réalisations témoignant de l’excellence de ses institutions étaient associées la liberté permise par la démocratie ou la sociabilité des citoyens portés aux plaisirs de l’art, de la bonne vie. Ce en quoi les Athéniens étaient certainement moins bien préparés aux rigueurs de la vie militaire. Mais cela ne gênait nullement leur détermination lorsqu’il fallait monter au combat. C’est qu’ils disposaient d’une ressource interdite à l’ennemi : une cause. Ils ne se battaient pas pour un tyran, une élite, mais pour la patrie. La mort prenait dès lors un accent humaniste pour des hommes épris de la vie, dilettantes, amoureux des belles…

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Auteur: Alain Garrigou