De la guerre coloniale au maintien de l'ordre : « Terroriser les gens, pour qu'ils n'osent plus aller manifester »

CQFD n°216, janvier 2023

Cet entretien a été publié dans le n°216 du mensuel CQFD.

La « guerre révolutionnaire » comme doctrine terriblement séduisante. Ou comment, à partir d’une inversion sémantique qui laisse sans voix, un quarteron d’officiers français abonnés à la lose (débâcle de 1940, Diên Biên Phu…) ont semé aux quatre vents une fumeuse et sanglante théorie de la guerre moderne, à la fois psychologique et contre-insurrectionnelle… L’historien Jérémy Rubenstein, auteur de Terreur et séduction – une histoire de la doctrine de la « guerre révolutionnaire », nous parle de ses origines coloniales, de son heure de gloire lors de la mal nommée bataille d’Alger, mais aussi des multiples applications de cette « boîte à outils » du maintien de l’ordre dominant, depuis la dictature argentine jusqu’aux cartels mexicains de la drogue en passant par la com’ du patronat français. Entretien.

CQFD : On savait que les dictatures sud-américaines ont bénéficié d’un parrainage états-unien, mais aussi français. Ton livre fouille en amont, vers les racines coloniales de la doctrine de la guerre révolutionnaire (DGR), et en aval, vers ses rejetons contemporains. Qu’est-ce qui t’a donné envie de creuser ?

Jérémy Rubenstein : Son actualité. Mais il faut d’abord préciser que l’école française précède celle des États-Unis. Dès 1957, des officiers argentins viennent à Alger et à Paris se former à la guerre psychologique. Des assesseurs français sont aussi envoyés à Buenos Aires. Les États-Unis ne se convertiront à cette « guerre moderne » qu’après la révolution cubaine et l’arrivée de Kennedy au pouvoir. Les Français, comme les Britanniques, ont accumulé un savoir-faire grâce à leur empire colonial. Les premiers théoriciens de la doctrine viennent des troupes coloniales et se targuent de savoir comment maintenir l’ordre avec relativement peu de moyens quand on est minoritaire sur un territoire.

« La population civile est à la fois l’objectif et l’arme principale de cette guerre »

Les premières conférences du colonel Charles Lacheroy datent de 1952, en Indochine. Il observe que le Viet Minh est en train de gagner la guerre alors qu’il est moins bien armé. Il affirme que la population civile est à la fois l’objectif et l’arme principale de cette guerre qui ne se joue plus à découvert entre deux armées. Les mots-clés sont : propagande, intox, manipulation, accompagnées de programmes sociaux, politiques et…

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Auteur: CQFD