De l'art et la manière de touiller la sauce sur un plateau de télévision

Il y a, comme cela, des choses qu’on a vues et qu’on ne peut plus ne pas avoir vues, qu’on ne peut avoir oubliées : on ne peut pas ne pas les avoir non-vues, si je peux dire les choses comme ça. Ces choses que l’on ne peut pas avoir non-vues, qu’on préférerait ne pas avoir vues, on se souvient d’elles avec une acuité, une précision et une prégnance que l’on aimerait mieux pour des souvenirs que l’on chérit et dont on regrette souvent qu’au contraire ces mémoires aimées, elles, s’estompent parfois jusqu’à l’effacement.

Par exemple, moi c’est la voix de mon frère, Alain, décédé, suicidé, défenestré, il y a presque trente ans désormais ; je ne me souviens plus du tout de sa voix, je ne dispose d’aucun enregistrement de cette voix et je ne m’en souviens plus, elle est éteinte, et je serai sans doute la dernière personne sur cette Terre qui ait connu mon frère et qui aurait pu se souvenir de cette voix, mais je ne m’en souviens plus, déjà plus. Et puis il y a ces choses vues et dont on pourrait dire qu’elles sont gravées dans notre esprit, dans le sens qu’elles laissent en nous des sillons qui ne s’émousseront pas, et ce sont, a contrario, donc, des choses dont on préférerait qu’elles n’aient laissé aucune trace, et on peut mesurer la contrariété dont nos existences sont parfois tissées à ce que, justement, ces choses que l’on préférerait oublier, on s’en souvent très bien et parfois même elles nous construisent, elles bâtissent cette face sombre de nous sur laquelle, en fait, est appuyé tout notre être.

Je n’ai pas la télévision, et pourtant c’est une chose vue à la télévision qui vient de faire effraction en moi avec une puissance que je vais tenter de combattre ici par écrit parce que je ne vois vraiment pas comment je pourrais faire autrement, quelles seraient mes chances sans cela, sans cette force qui est parfois la mienne, à savoir écrire pour me délester, parfois simplement pour y voir plus clair.

Ce que j’ai vu aujourd’hui à la télévision, je n’ai pas la télévision mais je reçois internet, je le reçois même à un débit, certes irrégulier dû à mon isolement dans un petit hameau cévenol, mais avec assez de puissance néanmoins, pour apercevoir des fragments de télévision, des extraits découpés, calibrés pour tenir dans des intervalles très courts, le plus souvent en dessous des deux minutes, de la même manière qu’il existe des sites internet depuis lesquels les messages que l’on écrit sont circonscrits dans un…

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Auteur: lundimatin