De l'esclave au prolétaire, « la désertion n'est pas qu'une histoire bourgeoise »

Vous lisez le troisième volet de notre enquête « La grande démission ». Le premier volet se trouve ici et le second .


On a parfois tendance à oublier le fil qui nous relie aux générations précédentes et les fragments du passé qui nous constituent, alors que nous répétons sans cesse les mêmes cris de résistance. S’évader de l’emprise du système a toujours fait partie du répertoire d’action des classes populaires. Aujourd’hui, ces récits sont autant une source d’inspiration pour le mouvement de désertion qu’une balise : elle ancre l’écologie politique dans une filiation révolutionnaire et rallume la flamme de la révolte sociale.

« La désertion » n’est pas qu’un discours de cadres sup’ réfractaires, d’ingénieurs démissionnaires ou de jeunes étudiants en quête de sens, antérieurement bien installés dans la société. Avant que l’idée du « refus de parvenir » soit reprise par des auteurs écologistes pour marquer l’opposition grandissante de ces élites, la désertion fut une attitude de la classe ouvrière pour refuser de pactiser avec l’ennemi — le patron, le bourgeois, le contremaître.

Le concept a été théorisé par Albert Thierry, un intellectuel libertaire, né en 1881 et grand admirateur des thèses de Proudhon. Fils de maçon, admis à l’École normale supérieure de Saint-Cloud, Albert Thierry était promis à un brillant avenir mais il refusa de s’extraire de sa condition. Il préféra tourner le dos à une carrière universitaire pour devenir instituteur dans le primaire à Melun et enseigner aux fils « des boutiquiers, des scribes et des paysans ».

« Si je m’élève, ce sera avec la masse et non au-dessus d’elle »

Refuser de parvenir était pour lui une exigence éthique. « Elle consiste à refuser de vivre et d’agir pour soi et aux fins de soi », écrivait-il dans son Essai de morale révolutionnaire. Il ne s’agissait pas pour autant d’une acceptation de la misère, mais plutôt d’un rejet des honneurs et des privilèges individuels. C’était aussi une forme de lucidité, alors que les élites bourgeoises, sous la 3ᵉ République, cherchaient à capter les éléments les plus brillants de la population ouvrière pour les mettre à leur service.

À l’époque, de nombreux courants de pensée, au sein de la classe ouvrière, invitaient à faire sécession. Le syndicaliste et anarchiste Fernand Pelloutier (1867-1901) poussait à la création de bourses du travail, sortes de bastions ouvriers au sein desquelles les syndicats…

La suite est à lire sur: reporterre.net
Auteur: Gaspard d’Allens Reporterre