« En finir avec la raison d’État mémorielle » : tel est l’objectif que se fixe le texte qui suit, initialement paru en conclusion du livre de Pierre Tevanian, Politiques de la mémoire, publié aux Éditions Amsterdam. En guise de feuilleton de fin d’été, et en écho à la frustrante et questionnante « panthéonisation » de Missak Manouchian, sur lequel cet été s’est ouvert, nous republions ces réflexions en six parties.
Partie précédente : Des limites et mérites de la comparaison
S’il est nécessaire d’ouvrir le « culte des grands hommes » à des icônes moins blanches, moins bourgeoises et moins masculines, une politique de la mémoire digne de ce nom, postulant l’égalité et visant l’émancipation, se doit aussi de déconstruire ce culte lui-même.
Il ne s’agit pas d’abandonner toute dimension cultuelle (j’entends : toute forme de célébration, d’hommage rendu à des figures passées), mais plutôt d’ouvrir le culte à des figures plus collectives (la Résistance et ses divers réseaux, par exemple, au-delà de la personne de Jean Moulin ou de Lucie Aubrac ; les FTP-MOI, au-delà de Missak Manouchian ; le MLF, au-delà de Simone Veil ou Gisèle Halimi), ou même à ces « modes d’individuation non personnelle » que Gilles Deleuze et Félix Guattari ont nommés des « heccéités » [1], et qui peuvent par exemple se matérialiser dans l’espace public par des dates plutôt que par des noms propres – sur le modèle de la station de métro Quatre-Septembre, mais sans arrêter l’émancipation humaine à la proclamation de la Troisième république.
Plutôt que des figures héroïques, individuelles ou collectives, ce sont alors des œuvres qui font l’objet d’une célébration : des manifestations, des révoltes, des déclarations d’indépendance, ou des projets politiques, comme « le sauvetage des juifs bulgares », ou comme cette « Opération Nemesis » dont Soghomon Tehlirian ne fut qu’un des agents [2].
De manière plus radicale,…
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Auteur: Pierre Tevanian