De l’usage des mots « guerre sainte » et « satanisme » dans la guerre en Ukraine

« Guerre sainte » : voici une notion qu’on entend souvent ces derniers temps dans l’espace politique russe pour justifier l’agression de la Russie en Ukraine. S’y ajoutent régulièrement les termes de « satanisme » et d’« Antéchrist ».

Tous les acteurs sociaux et politiques russes n’en ont pas les mêmes représentations, et celles-ci varient en fonction des publics auxquels ils s’adressent. Mais les mots utilisés restent les mêmes. Comment expliquer ce recours à un vocabulaire religieux dans le cadre de ce qui reste, officiellement, une « opération militaire spéciale » ?

Poutine, Kadyrov et le « satanisme » de l’Occident

Au cours des premiers mois de la guerre, Vladimir Poutine a exprimé son intention de dénazifier l’Ukraine. Le 30 septembre, lors de la cérémonie d’annexion des terres de l’est de l’Ukraine, il a dénoncé le satanisme de l’Occident, symbolisé, selon lui par « la négation totale de l’individu, la subversion de la foi et des valeurs traditionnelles, la suppression de la liberté ».

Ce terme de satanisme circule depuis longtemps dans les milieux conservateurs du monde entier. Déjà en 2013, Vladimir Poutine condamnait devant le Club Valdaï les « pays euro-atlantiques » pour qui « la foi en Dieu est égale à la foi en Satan ». Mais l’utilisation de cette rhétorique pourrait bien s’expliquer aujourd’hui par l’influence de l’idéologue d’extrême droite Alexandre Douguine sur le président de la Fédération de Russie. En effet, d’après des observateurs bien informés, si son poids dans les premiers mois de la guerre a été largement exagéré, il serait plus écouté depuis le décès de sa fille Daria Douguina, victime d’un attentat où il était probablement lui-même visé. Le 15 septembre, l’idéologue expliquait dans un média ultraconservateur qu’« un satanisme à découvert et un racisme pur et simple prospèrent en Ukraine, et l’Occident ne fait que les soutenir ».

Cette invocation du satanisme de l’Occident et d’une nécessaire « désatanisation » de l’Ukraine est pratiquement devenue, au cours des mois d’octobre et novembre, la justification officielle de l’« opération spéciale ». Elle a été utilisée plusieurs fois par Ramzan Kadyrov, à la tête de la république tchétchène, sur sa chaîne Telegram (il l’avait d’ailleurs déjà employée auparavant, et notamment le 18 mai 2022).

Le 25 octobre, il déclarait que la « démocratie sataniste », c’est « lorsqu’on protège les droits des athées et insulte les croyants » ; il rappelait pour illustrer ses propos la publication des caricatures du Prophète dans Charlie Hebdo, contre lesquelles une manifestation de plusieurs centaines de milliers de personnes avait été organisée le 19 janvier 2015 à Grozny.

Comme Vladimir Poutine, il condamnait l’homosexualité et affirmait de façon particulièrement grossière que « plus les thèmes « en dessous de la ceinture » sont libérés, plus ils (l’Occident) sont contents ».

Le thème d’une « guerre sainte » est également très présent dans ses interventions, tout comme celui du patriotisme. Son post du 25 octobre commence d’ailleurs par ces mots : « J’aime ma Patrie. Mon pays. Le peuple. Les traditions ».

La dénonciation des « sectes »

Le satanisme a été lié à un autre thème par le secrétaire adjoint du Conseil de sécurité, Alexeï Pavlov : il a comparé l’Ukraine à une « hypersecte totalitaire », affirmant notamment que ce sont des satanistes, des païens et des membres de « sectes » qui ont organisé la révolution de Maïdan en 2014.

Cette référence aux sectes, vues comme un danger majeur pour la Russie, date au moins du début des années 2000 ; leurs membres étaient d’ailleurs considérés comme des agents de la CIA à la période soviétique.

Dès son premier mandat, Vladimir Poutine a souligné l’importance de la « sécurité spirituelle », comprise comme la défense des religions traditionnelles et la lutte contre l’extrémisme religieux – notion aux contours flous et arbitraires. Nikolaï Patrouchev, l’actuel secrétaire du Conseil de sécurité, était alors directeur du FSB, héritier du KGB : il avait passé une alliance avec l’Église orthodoxe pour lutter contre les « sectes totalitaires ». Cette rhétorique d’Alexeï Pavlov apparaît…

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Auteur: Kathy Rousselet, Directrice de recherche au Centre de recherches internationales (CERI) , Sciences Po