Débat : La personnalisation de la nature en vue de mieux la protéger, cette fausse bonne idée

Depuis 1976 et la première grande loi sur la protection de la nature, les textes s’empilent pour tenter de la « sauver ». Après un demi-siècle d’inflation normative, et malgré les efforts réels et certains des acteurs du droit – législateur et juges –, nous sommes encore très (très) loin de pouvoir commencer à affirmer le début d’un commencement de sortie de crise pour la biodiversité !

Face aux menaces toujours plus prégnantes des activités humaines et des pollutions qu’elles génèrent, et alors que nous sommes entrés dans ce que les scientifiques appellent la sixième extinction de masse, beaucoup s’interrogent sur le cadre juridique dans lequel nous évoluons : celui-ci n’interdirait-il pas, de manière structurelle, une politique ambitieuse de conservation de la nature ?

Comme si tous nos efforts seraient vains tant que la table des paradigmes fondamentaux n’est pas renversée.



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Faire de la nature une personne

Parmi les objets principiels questionnés, celui de la singularité de l’être humain dans l’ordre du vivant ; et donc la personnalité juridique qui lui est accordée.

Ainsi, dans le débat public, l’idée est portée de faire de la nature, et/ou de certaines de ses composantes, des personnes. À en croire les tenants de cette innovation, qui n’en est pas une, la personnalité serait le remède à bien des maux. La nature, jusque-là sans voix et sans droit, serait alors considérée par la justice.

Quelle est la finalité recherchée d’une telle proposition ?

Si l’objectif est de parvenir à une sanctuarisation du vivant non humain à hauteur du vivant humain, pour garantir la conservation de la nature, alors ce saisissement relève d’une vision fantasmée de la condition d’« Homo sapiens ».

La personnalité, cette fiction juridique

Pour apporter des éléments de réponse, il est primordial de s’interroger sur ce qu’est la personnalité juridique (et surtout sur ce qu’elle n’est pas) : son périmètre, les enjeux qui y sont attachés et, bien entendu, les effets de son attribution.

En résumé, dire si la personnalisation de la nature serait une nouvelle fausse bonne idée.

La personnalité est avant tout une fiction juridique. Au sens étymologique (du latin persona : le « masque d’acteur »), c’est le masque dont les citoyens s’affublent pour prendre part à la comédie humaine. Cette fiction nous impose de jouer dans une pièce aux règles clairement définies. Ainsi, une personne est avant tout un acteur de la vie en société, soumis au droit.

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La personne est ensuite un « sujet de droit ». À ce titre, elle dispose de droits et de devoirs : des obligations regroupées au sein de son « patrimoine » (du latin pater : ce qui vient du « père ») ; un patrimoine dont nous avons hérité et que nous ambitionnons de transmettre aux générations futures.

Pour que cette transmission ait lieu, nous devons faire des choix. La personnalité, c’est cela : être en capacité de choisir. Être capable de différencier le bien du mal, le juste de l’injuste, le légal de l’illégal, et de répondre de ces choix devant la justice des hommes. Doués de raison, « Homo sapiens » est l’animal sachant, et la raison, le savoir et la capacité à dépasser notre instinct de prédateur, emportent notre responsabilité.

Les personnes sont les entités juridiques responsables de leurs actes.

Des cochons jugés pour homicides

Il existe deux grands types de personnes : les hommes et les femmes de chair et d’os – personnes physiques –, et leurs regroupements – personnes morales – (l’État, ses collectivités, les entreprises et les associations).

Qu’elles soient physiques ou morales, ces personnes sont soumises au droit, disposent d’un patrimoine, ont des obligations de faire et de ne pas faire, et engagent leur responsabilité devant les tribunaux.

Il fut un temps où les animaux étaient appréhendés par notre système judiciaire comme des personnes.

Au Moyen Âge, les cochons étaient jugés pour homicide et les pucerons pour ravages aux cultures….

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Auteur: Louis de Redon, Maître de conférences HDR en droit de l’environnement, AgroParisTech – Université Paris-Saclay