Débat : Le traitement de l’islam en France est-il symptomatique d’une crise républicaine ?

Très récemment, Emmanuel Macron s’est rendu à la Grande Mosquée de Paris pour commémorer le centième anniversaire de cette institution. Si le président a prononcé un discours flatteur à l’attention de la communauté musulmane, le tournant pris par des secteurs de l’État français dans leurs relations avec l’islam interroge.

Dans un ouvrage paru récemment, j’ai tenté de décrypter et comprendre la manière dont se construit et se diffuse depuis les attentats de 2015 une tendance « moralisatrice, sécuritaire et identitariste » de la scène politique française, au premier chef de certains représentants de l’État, au sujet de l’islam et des musulmans.

Mon enquête montre qu’entre 2015 et 2022, des politiques et représentants étatiques (et donc non l’État dans son ensemble ni dans un absolu anhistorique) semblent ne plus viser simplement les terroristes dits islamistes sur des faits constitués ou bien encore des rigoristes sur le point de passer à l’acte violent, mais les discours et les comportements de musulmans apparemment trop conservateurs.

Ces derniers sont notamment visés quand ils formulent des critiques à l’endroit de certains discours et politiques publiques en leur direction. Mon travail de recherche questionne justement la légitimité de l’État à censurer et réprimer ce type de critique, ou à juger de « modes de vie ». Si des conservateurs religieux respectent la loi, un État libéral digne de ce nom, ou attaché aux libertés individuelles, doit-il tout de même chercher à réguler ce qu’ils pensent et ce qu’ils montrent ostensiblement de leurs appartenances religieuses, quelle qu’en soit la nature ?

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Une progressive « intrusion de l’État »

Une gestion étatique centralisatrice et régulatrice était déjà à l’œuvre depuis au moins la fin des années 1980 et la naissance en 1989 du CORIF (Conseil de réflexion sur l’islam de France), sous la férule de Pierre Joxe, ministre de l’Intérieur sous François Mitterrand.

Mais il y a eu clairement un effet d’emballement avec les premiers attentats islamistes dans les années 1990 puis surtout ceux de 2015, dans des accents de moins en moins dialogiques et, au contraire, de plus en plus répressifs et sécuritaires. Notons qu’il y a cependant eu des phases de dialogue dans l’intervalle, suivant les moments et les ministres en exercice.

On constate néanmoins de manière de plus en plus prégnante « l’intrusion de l’État […] dans les visions et styles de vie des musulmans », comme je l’écris dans mon livre, et qui se traduit par une « extension de la norme », autrement dit, au sens où l’entend le philosophe Michel Foucault (1926-1984), une « classification permanente des individus », musulmans en l’espèce, en « modérés », « républicains », « islamistes », « fondamentalistes », « séparatistes », etc. Je ne connais objectivement pas d’autres acteurs sociaux et de religion dans l’Hexagone rangés sous autant de qualificatifs, a fortiori dépréciatifs.

Ainsi, ce nouveau contexte de raidissement sur la question du fait islamique a semble-t-il connu un tournant avec le discours des Mureaux d’Emmanuel Macron en octobre 2020 et la Charte pour les principes de l’islam de France initiée également par l’Elysée fin 2020, dans le cadre de la préparation de « la loi contre les séparatismes ». Emmanuel Macron, conseillé notamment par quelques chercheurs, eut de plus en plus tendance à voir l’islamisme comme hégémonique sur l’islam de France et à supposer, ce faisant, que libéralisme religieux et encadrement plus étroit du culte islamique étaient la solution au « problème » musulman.

Discours et conférence de presse du président de la République depuis Les Mureaux, le 2 octobre 2020. YouTube.

Vision critique et passage à l’acte ?

Ce changement d’attitude au sommet de l’appareil étatique a donc également été nourri par le concours actif de certains universitaires, réunis autour d’une conviction : l’existence d’une continuité entre une vision…

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Auteur: Haoues Seniguer, Maître de conférences en science politique. Spécialiste de l’islamisme et des rapports entre islam et politique, Sciences Po Lyon, laboratoire Triangle, École Normale Supérieure de Lyon