Décoloniser la médecine ?

Ces fragments ont été rédigés l’hiver dernier, au moment où les Antilles se soulevaient contre l’imposition du passe vaccinal. Son auteur avait alors jugé préférable d’épargner aux lecteurs d’énièmes considérations sur un sujet qui saturait déjà l’espace médiatique et intellectuel. La fureur des évènements passée, il s’agit désormais de prendre le recul historique nécessaire pour méditer sur la pandémie que nous venons de vivre, et préparer celles à venir. Cela pourrait commencer par s’interroger sur ce qu’est « une maladie ».

De l’inquisition à la médecine coloniale…

1. Dans Colonizing the Body, David Arnold raconte l’épisode de la grande peste de Bombay au tournant du xxe siècle. Les faits sont les suivants : en 1896 la peste se déclare à Bombay. Rapidement les autorités coloniales britanniques tentent de circonscrire l’épidémie : isolement des malades à l’hôpital, capture des cadavres contaminés pour empêcher tout rituel collectif, etc. Ils se heurtent rapidement à la résistance des populations locales pour qui l’hôpital est un lieu de pollution et de désacration. Dans une ambiance millénariste où la peste est vue comme annonciatrice de grands bouleversements, l’introduction d’un sérum en 1897, que les autorités prétendent administrer aux indigènes, sonne aux yeux de ces derniers comme une tentative finale pour les anéantir. Des campagnes de dénigrement sont lancées dans la presse pour souligner l’irrationalité des autochtones qui croient à la nocivité du sérum et sont, plus largement, incapables de se déprendre de leur compréhension religieuse de la maladie au profit des conceptions scientifiques de la bactériologie naissante.

2. Les historiens ont depuis longtemps montré à quel point la gestion des épidémies constituait une dimension importante de la mise en ordre de l’espace colonial. Les campagnes de vaccination, parfois accompagnées de l’instauration de passeports sanitaires, étaient des moments essentiels pour l’installation d’un contrôle effectif sur des territoires échappant pour certains totalement au contrôle de l’administration centrale. Dans le cas de la peste de Bombay, la brutale intervention des autorités britanniques visait entre autres à contrer ce qui peut être lu comme une réponse autochtone à l’épidémie : la désertion de la métropole, puisqu’on estime qu’entre fin octobre 1896 et début 1897 380 000 des 850 000 habitants quittèrent la ville, mettant un coup d’arrêt à l’activité…

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Auteur: lundimatin