Décryptage : le pouvoir d’achat, et si l’on se focalisait sur autre chose ?

Depuis des décennies, c’est lui qui alimente la majeure partie des contenus des journaux télévisés, fait les titres de la presse écrite et vampirise les sujets des campagnes électorales. Sa baisse aurait provoqué le mouvement des « gilets jaunes » et il affole les gouvernants qui adoptent des « primes » successives et ciblées afin de le maintenir. En août dernier, une loi prévoyant des mesures d’urgence pour le préserver a été votée.

Lui, c’est le pouvoir d’achat bien sûr… Est-il cette notion indépassable et incontournable pour identifier les besoins des individus dans nos sociétés occidentales ? Qu’est-ce que la centralité de ce terme signifie ? Notre pouvoir d’achat étant notre pouvoir d’acheter, sommes-nous réductibles à notre statut de consommateurs ? Serait-il possible d’utiliser d’autres notions équivalentes pour mesure les niveaux de vie des individus ?

Notre hypothèse est que cette référence n’est pas anodine et révèle beaucoup de la structuration de nos rapports sociaux, de nos modèles économiques et de nos démocraties.

Des sources de controverses

Une note du Conseil d’analyse économique (CAE) publiée en 2008 en proposait la définition suivante, une double définition plus précisément, proche de celle de l’Insee :

« Pour l’économiste, le pouvoir d’achat est la quantité de biens et de services que l’on peut acheter avec le revenu disponible. Il suffit donc que la hausse des revenus dépasse celle des prix pour que le pouvoir d’achat progresse. De façon plus empirique, l’homme de la rue raisonne différemment : “son” pouvoir d’achat représente “sa” capacité à acquérir les biens et les services qui forment les standards du moment ».

Il y a là une notion économique qui a pour objectif de mesurer la quantité de biens et de services qu’un revenu donné permet d’acquérir. Son évolution est liée à celle des prix et des revenus. Si les prix augmentent dans un environnement où les revenus (salaire, rémunération du capital, prestations sociales) sont constants, le pouvoir d’achat diminue ; si la hausse des revenus est supérieure à celle des prix, le pouvoir d’achat pourra augmenter. Lorsque l’on dit « revenus », il s’agit du revenu disponible brut (RDB), c’est-à-dire de ce dont dispose un ménage pour consommer, épargner ou investir après avoir réglé ses cotisations sociales et impôts directs et avoir reçu d’éventuelles allocations.

Au-delà de sa définition, le calcul du pouvoir d’achat est également source de nombreux malentendus. Faut-il par exemple employer une méthode qui calcule en agrégeant le revenu de tous les ménages ou par tête ? Dans le premier cas, le pouvoir d’achat aurait progressé en moyenne de 2,1 % par an entre 1974 et 2006 mais que de 1,6 % dans le second qui tient compte de l’évolution de la taille de la population. Et si l’on calcule par unité de consommation, c’est-à-dire en attribuant un poids différent à un enfant et à un adulte, et en s’adaptant au nombre d’adultes dans un ménage, ce chiffre n’est plus que de 1,3 %.

Les chiffres varient également selon la façon dont on prend en compte l’inflation. On peut utiliser les prix de l’ensemble des biens de consommation mais aussi, parfois de façon plus pertinente, uniquement ce que l’on appelle les dépenses « non-pré-engagées », celles qui ne sont pas issues de contrats difficilement renégociables à court terme, telles que les dépenses liées au logement (loyer, eau, gaz, électricité), à son assurance ou son forfait téléphonique. On parle alors de « pouvoir d’achat arbitrable ».

Et pourquoi pas des notions alternatives ?

Nous avons bien ici les ingrédients d’une instrumentalisation possible de cette notion et de multiples sources de malentendus. Comme le souligne la définition du CAE, une autre difficulté vient du décalage entre l’évolution objective du pouvoir d’achat et la perception qu’en ont les ménages.

Des notions différentes faisant appel à d’autres représentations sociétales pourraient être utilisées comme le niveau de vie, autrement appelé revenu disponible brut ajusté. On va, en quelque sorte, convertir en revenu dans le calcul une dépense non supportée par le ménage. Bénéficier de l’école gratuite, par exemple, revient à disposer du revenu pour la payer. Ce n’est de fait…

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Auteur: Emmanuelle Mazuyer, Directrice de recherche au CNRS en droit, Université Lumière Lyon 2