Déjouer les pièges de l’éducation positive avec la philosophie de Hegel

L’éducation positive est une belle idée. C’est pourquoi de nombreux parents ont cru trouver en elle les fondements d’une pratique éducative libératrice pour leurs enfants. Cependant, elle expose à des pièges qui, si l’on n’y prend garde, risquent d’interdire tout vrai travail éducatif. La « grande Ombre » de Hegel, telle que Alain l’évoque dans ses Propos sur l’éducation, peut à ce sujet nous « parler » très fort. Écoutons-la.

L’espoir des parents qui adoptent le modèle d’une éducation positive est de travailler à l’émergence d’enfants libres, un peu à l’image des Libres enfants de Summerhill, qui eurent leur heure de gloire dans les années soixante. Il est clair qu’il est difficile de s’élever contre les idées directrices de l’éducation positive, dont les maîtres mots sont écoute, respect et accompagnement : promouvoir une éducation fondée sur l’empathie ; développer une coopération entre les parents et les enfants, les adultes et les jeunes ; accompagner l’enfant en étant à l’écoute de ses besoins ; faire apprendre en s’appuyant sur les forces individuelles et la motivation personnelle. Qui pourrait y trouver à redire ?

Mais l’éducation positive se heurte très vite au problème des limites éducatives. Car il ne faut pas se méprendre sur la liberté. Ce qui est souvent décrit comme une « violence éducative », en tant que contrainte, refus de certains comportements, et inversement imposition de manières d’être et de faire conformes à des normes, ou à une morale, est-il, par principe, et toujours, attentatoire à la liberté de celui-ci ?

Le piège de la liberté du vide

Hegel nous rappelle que la liberté ne se réduit pas au refus de tout contenu extérieur, jugé alors comme étant simplement « une restriction » inadmissible. Cette « liberté négative » n’est qu’une « liberté du vide », qui n’existe que dans la destruction de ce qui s’oppose à elle. Il ne faut pas laisser les enfants, en croyant les respecter, être emportés par une « furie de destruction », refusant « tout ordre social existant », et visant « l’anéantissement de toute organisation voulant se faire jour ».

Certes, d’un côté, « Les enfants sont en soi des êtres libres, et leur vie est l’existence immédiate de cette liberté seulement ». Les enfants n’appartiennent à personne, ni aux parents, ni aux éducateurs. Mais, d’un autre côté, ils ont besoin d’une éducation pour les « élever de la nature immédiate où ils se trouvent primitivement à l’indépendance et à la personnalité libre ». Ce qui apparaît immédiatement comme négativité – l’intervention éducative restrictive et canalisante – a une irremplaçable dimension positive. Cette positivité est appelée et ressentie par les enfants eux-mêmes.

Éducation positive : théorie, pratique, controverses (Débat organisé par Sciences Humaines, 2022).

« La nécessité d’être élevés existe chez les enfants comme le sentiment qui leur est propre de ne pas être satisfaits de ce qu’ils sont. ». Toute pédagogie qui « traite l’élément puéril comme quelque chose de valable en soi (et) le présente aux enfants comme tel… rabaisse pour eux ce qui est sérieux, et elle-même, à une forme puérile peu considérée par les enfants. En les présentant comme achevés dans l’état d’inachèvement où ils se sentent », elle ne peut que déboucher sur « la vanité… des enfants pleins du sentiment de leur distinction propre ».

L’achèvement de la personne devenue libre en soi et pour soi exigera le dépassement de ce que l’on est au « moment » de l’enfance, quand on exerce ce qui risque de n’être qu’une liberté du vide.

Le piège de méconnaître l’exigence de dépassement

Cette exigence a été bien mise en évidence par Hegel, avec le concept d’« aufheben », qui fait comprendre la nécessité et la positivité de l’affrontement fécond du négatif. La négativité que représente pour un être la rencontre avec l’altérité (l’autre – le parent, le maître – restreint mon champ de « libre » développement, et m’impose ses propres façons d’être et de faire), a pour effet de conduire l’éduqué en dehors et au-delà de lui-même, pour devenir…

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Auteur: Charles Hadji, Professeur honoraire (Sciences de l’éducation), Université Grenoble Alpes (UGA)