Il y a un an débutait le soulèvement libanais. Certains amis sur place commémorent l’évènement, d’autres comme Ghassan Salhab s’y refusent. Il nous a transmis ce très beau texte publié en arabe le 23 octobre par nos confrères libanais de Megaphone.
Tu ne pourrais pas désirer être née à une meilleure époque que celle-ci,
où on a tout perdu.Simone Weil
Je ferme enfin les yeux. Je ne dors pas mais mes yeux sont fermés. La lumière du jour perce à peine, des taches de couleur flottent au-dedans, indistinctes. J’entends tout ce qui bouge, respire. Tout. Rien n’échappe à mon ouïe. Les différents groupes électrogènes du quartier, le sifflement d’une bouilloire, le bourdonnement d’une mouche qui me nargue, une voiture qui s’éloigne, une autre qui s’approche, des klaxons lointains, un avion de ligne qui passe au-dessus, quelques aboiements, aigus, rauques, un tapis qui se fait battre, le cri d’une sirène, l’énième grondement circulaire des avions de chasse de Tsahal, une scie électrique au travail, la matière qui cède, une sonnerie de téléphone, quelques notes d’un piano, une voisine qui appelle le concierge, qui insiste, une série télévisée doublée, des gémissements, les notes de piano qui reviennent, tentent d’élaborer, le chat qui s’avance sur le haut du dossier du canapé, au-dessus de mon crâne dégarni, qui me tapote d’une patte, griffes rentrées, le troisième ou le quatrième appel à la prière du muezzin, puis le trou.
Mes yeux ont dû se rouvrir d’un coup, je ne sais plus. Je me suis retrouvé dans la rue, ces mêmes rues et places conquises l’automne précédent, j’ai failli écrire libérées, mais nul autre, ni les camarades, ni les indécis, ni les misérables, ni les tentes dressées, ni ce poing géant et ce drapeau de parade, ni la flicaille, ni la soldatesque, ni les mouchards, ni les gaz, ni les irritations, ni les ambulances, seuls les graffitis, les murs, les…
Auteur: lundimatin
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