Déserter ? Pas si simple

Versé dans les sciences, qu’elles soient sociales ou naturelles, Étienne Le Merre a une formation d’ingénieur agronome. Il s’est éloigné de cette carrière au sortir de ses études et travaille désormais dans une ferme du Larzac, dans le Massif central.


J’ai « bifurqué » moi aussi, et ce n’est pas si simple. Voici pourquoi.

En fait, je n’ai pas vraiment « bifurqué ». Je n’ai pas lâché ma possible carrière d’ingénieur du jour au lendemain, mû uniquement par mon activisme politique. Et je pense ne pas être le seul dans ce cas, vu ce que me racontent nos déserteurs modernes – ingénieurs, mais aussi professeurs, aides-soignants, éducateurs spécialisés, etc. Vous savez, celles et ceux qui ont laissé derrière eux carrière et confort pour essayer de rendre le monde plus apte à faire face aux crises systémiques actuelles, pour essayer de se construire un parcours porteur de plus de sens. Enfin, ça, c’est la version que l’on entend souvent.

Ce qu’on entend moins, c’est comment nous nous sommes fait pousser dehors par un système néolibéral qui entend éjecter les cerveaux inaptes à ses fumeuses logiques gestionnaires et autoritaires. Celles qui font prévaloir en permanence le budget sur la notion de service, jusqu’à la déshumanisation la plus totale. Jusqu’à nous laminer. Peut-on vraiment parler de choix quand le mental commence à vriller, quand les crampes d’estomac se multiplient, puis les crises d’angoisse… jusqu’au burn-out ? Est-ce vraiment un choix que de partir, alors ?

Il ne s’agit pas de disqualifier la bifurcation, elle est un engagement politique, une quête de sens, de vitalité. À travers elle, on refuse de cautionner l’écocide, la maltraitance de tous par chacun, une vision du monde dans laquelle hiérarchie et compétition sont l’alpha et l’oméga. Et, personnellement, je vois aisément ce qu’elle m’a apporté : une meilleure santé, déjà, et un peu d’estime de soi – ça ne fait pas de mal.

Ne nions pas l’importance du capital économique et culturel

Cependant, l’encenser comme une stratégie de lutte me paraît parfois un peu malhonnête. Le chemin qui suit l’embranchement de n’importe quelle bifurcation ne produit pas en lui-même de changement. Je le dis d’autant plus librement que j’ai été moi-même de ceux qui ont pu professer un « Y’a qu’à » auprès d’anciennes ou d’anciens collègues ne disposant pas du capital économique et/ou culturel, ni des soutiens moraux suffisants pour envisager cette option. Le…

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Auteur: Reporterre