Désinformation politique : quelques clés pour se protéger

En Chine, le pouvoir dispose de plus de 280 000 « fonctionnaires » rémunérés pour « fabriquer » l’opinion publique. Leur appellation ? La « water army » (l’armée de l’eau) créée en 2010. Cette « armée » se compose d’utilisateurs et utilisatrices – qui peuvent faire partie de firmes privées – rémunérés pour publier des commentaires sur des sites web en chinois selon les directives gouvernementales. Ils opèrent généralement sur les plates-formes en ligne les plus prisées comme le site de microblogage Sina-Weibo, la messagerie WeChat ou encore Taobao, le principal site de vente en ligne du pays.

Cette « water army » s’adonne ainsi à la pratique de « l’astroturfing » des approches par saturation de messages notamment sur les réseaux sociaux : utilisation de bots, multiplication de faux comptes, etc. La démarche est analogiquement proche de certaines techniques de « black hat hackers », ou d’hacktivistes. Certains inondent des serveurs de requêtes pour les bloquer (attaque DDos), d’autres défacent un site pour donner à voir leur revendication sur la page d’accueil du site ciblé. Dans le cas qui nous préoccupe, la saturation fait penser à des mouvements de masse.

Si l’astroturfing n’est pas récent, il a pris ces dernières années une certaine ampleur. Ce terme que l’on peut traduire par « pelouse synthétique », désigne une opération qui vise à donner la fausse impression d’un comportement spontané ou d’une opinion populaire. Elle n’est pas l’apanage du monde politique, comme nous allons l’évoquer, des firmes y ont recours, cela peut être pour lancer un produit, tout comme pour redorer son image, contrer les critiques, voire même disqualifier par tous moyens la science à l’instar de la firme Monsanto ce qu’a révélé en 2017 les « Monsanto Papers », cette dernière a entre autres chargé une agence de consultant afin de fabriquer des e-mails et créer le « Center for Food and Agricultural Research », un faux institut dont la raison d’être était d’attaquer les critiques de Monsanto.

Cependant, penser que « l’astroturfing politique » serait réservée à des régimes autoritaires et/ou dictatoriaux, comme la Chine ou la Russie avec son usine à trolls aux ordres du Kremlin localisée à Saint-Pétersbourg, constituerait une erreur.

Ainsi en France, lors des dernières élections présidentielles de 2022, le journal Le Monde révélait comment « des militants d’Éric Zemmour gonflaient artificiellement la présence de leur candidat sur Twitter ». Les journalistes avaient collecté des centaines de milliers de tweets pro-Zemmour… peu en rapport avec sa réelle « force de frappe » sur les réseaux.

« Pourquoi est-ce que je reçois ce message ? »

Comment, dès lors, le citoyen peut-il se « protéger » de ces tentatives de manipulation et détecter une campagne d’astroturfing ? Voici quelques clés :

  • Le message est récurrent.

  • La campagne utilise de nombreux canaux de diffusion, et de nombreux identifiants sur une même plate-forme (Twitter par exemple, bien que les réseaux sociaux interdisent officiellement cette pratique).

  • Elle se caractérise par la répétition des mêmes séquences de vocabulaire via des messages plus ou moins simultanés qui émanent de sources diverses sans connexions visibles entre elles.

Parfois, le message cite comme source des messages similaires, renforçant l’idée que l’idée véhiculée est partagée par beaucoup de gens alors que les sources se renvoient les unes aux autres et sont similaires en contenu. Par ailleurs, la majorité des tentatives de réponse à l’émetteur se soldent par un échec à le joindre, dans des proportions bien plus importantes que la normale.

La temporalité des messages, très rapides, est aussi à prendre en considération, de même que les campagnes de retweets (qui durent plus longtemps que la moyenne), éléments difficiles à détecter sans des moyens informatiques conséquents. Dans l’exemple ci-dessous, le 20 avril 2022, comme le pointe l’Institute for Strategic Dialogue (ISD) le compte de @Samuel_Lafont (Stratégie numérique et levée de fonds pour @Reconquete_off @ZemmourEric) qui compte à ce jour environ 540 000 abonnés a partagé une pétition 24 fois en moins de cinq minutes.

La suite est à lire sur: theconversation.com
Auteur: Yannick Chatelain, Professeur Associé. Digital I IT. GEMinsights Content Manager, Grenoble École de Management (GEM)