Désordre vital contre ordre républicain

« Les oreilles qui sifflent, le nuage qui m’englobe et me coupe du visage connu de mon binôme. 30 secondes pendant lesquelles tout remonte : la rage de l’injustice, la peur du futur, l’espoir dans la lutte et la possibilité de la mort. On se serre fort les un·e·s contre les autres. »

« Le pouvoir c’est essentiellement ce qui réprime. C’est ce qui réprime la nature, les instincts, une classe, des individus » Foucault, Il faut défendre la société

Samedi 25 mars, entre 23h et minuit, Melle. Les larmes coulent doucement sur les visages. La pudeur a disparu. Le silence se fait. Les cris s’éteignent et les grenades se taisent. 30 secondes pour S. tombé dans le coma. 30 secondes pendant lesquelles plusieurs séquences du jour me reviennent en tête : la force du cortège qui se met en route au pas de course dans les champs boueux, le réveil aux aurores après une nuit trop courte pour se rendre au campement et éviter les barrages policiers, les messages qui fusent sur les conversations Signal et Telegram, les sourires complices échangés avec celleux qui s’y rendent aussi, le regard levé vers le ciel jauni par les lunettes de ski pour voir tomber les grenades, reculer vite, les entendre fuser près de soi alors qu’elles explosent juste à l’endroit que je viens de quitter, les oreilles qui sifflent, le nuage qui m’englobe et me coupe du visage connu de mon binôme. 30 secondes pendant lesquelles tout remonte : la rage de l’injustice, la peur du futur, l’espoir dans la lutte et la possibilité de la mort. On se serre fort les un·e·s contre les autres.

À Sainte-Soline, le samedi 25 mars, 3200 forces de l’ordre ont jeté 4000 grenades sur 30 000 personnes pendant 2 heures. Deux personnes sont, à l’heure où j’écris ces lignes, dans le coma, d’autres sont mutilées ou blessées de toutes sortes de façons et d’autres encore meurtries au fond du cœur.

Je m’attendais à ce que ça soit difficile. Mais pas comme ça. Pas aussi fort. Je ne m’attendais pas à revenir avec l’âme lourde et triste. Accrochée aux réseaux sociaux, je revis ces deux heures, je tente de comprendre ce que les autres voyaient de l’extérieur, ce que ça donnait pendant que nous croulions sous les jets de tirs incontrôlés, que nous entendions des « médics » criés toutes les secondes, que nous reculions, pleurions face aux gaz lacrymogènes et avancions encore. Nous reculons, mais nous avançons un peu parce que la rage prend aux tripes, que nous ne pouvons pas abandonner celleux qui sont devant….

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Auteur: dev