Destitution

Sur la base de certains énoncés de Lacan et de Foucault, qu’il s’efforce d’élucider, Ivan Segré propose une sorte de généalogie de la notion de « critique ». Partant des observations de Foucault relatives à la critique biblique au XVIe siècle, il aboutit, via Lacan, à une réflexion sur la contingence du pouvoir. Le chemin est escarpé, mais le détour vaut le coup d’œil.

Dans l’histoire des sciences humaines, l’interprétation des rêves a d’une certaine manière succédé à celle de la Bible. Or l’herméneutique biblique avait une histoire, depuis les philologues grecs et latins de l’antiquité jusqu’à ce tournant historique que Pierre Gibert a appelé « l’invention critique de la Bible » et qu’il situe entre le XVe et le XVIIIe siècle. C’est à cette « invention » que Michel Foucault se réfère lorsqu’il pose la question « Qu’est-ce que la critique ? » ; et qu’il répond :

« Et si la gouvernementalisation, c’est bien ce mouvement par lequel il s’agissait dans la réalité même d’une pratique sociale d’assujettir les individus par des mécanismes de pouvoir qui se réclament d’une vérité, eh bien, je dirais que la critique, c’est le mouvement par lequel le sujet se donne le droit d’interroger la vérité sur ses effets de pouvoir et le pouvoir sur ses discours de vérité ; la critique, ce sera l’art de l’inservitude volontaire, celui de l’indocilité réfléchie. La critique aurait essentiellement pour fonction le désassujettissement dans le jeu de ce qu’on pourrait appeler, d’un mot, la politique de la vérité. »

La « critique » se serait principalement exercée dans trois domaines depuis la fin du XVe siècle : « la Bible, le droit, la science ». Mais Foucault distingue la Bible : « Disons que la critique est historiquement biblique ». C’est en effet dans l’approche des textes bibliques qu’un nouvel esprit critique vit le jour, la philologie commençant à bousculer la théologie. Autrement dit, parce que l’autorité est alors théologico-politique, la critique biblique est une manière de s’affranchir de l’autorité. Et en ce sens, on peut dire qu’historiquement le « désassujettissement » a pris d’abord la forme d’un retour au fait littéral, ce que le courant réformé a appelé le retour à la « lettre seule » (sola scriptura), c’est-à-dire sans devoir en passer par la Vulgate, le clergé ou la doctrine scolastique. Erasme et Spinoza ont notamment marqué de leur empreinte ce mot d’ordre : le premier en appliquant aux textes sacrés les principes d’une philologie « critique » héritée des…

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Auteur: dev