Écologie et justice sociale : pourquoi il faut faire advenir une autre économie pour le XXIᵉ siècle

Jamais les progrès réalisés par les sociétés humaines ne semblent avoir été aussi éclatants et jamais la menace de destruction de notre environnement n’aura été aussi grande. Partant de ce constat, l’économiste Éloi Laurent propose de réfléchir dans son nouveau livre, « Économie pour le XXᵉ siècle » (éditions de la Découverte), à la manière dont l’humanité pourrait s’assurer un passage vers les prochaines décennies… Il faudra commencer par revoir le logiciel économique qui a présidé aux destinées du siècle passé. Nous vous proposons de découvrir un passage de cet ouvrage, extrait de son introduction, paru début janvier 2023.

Sommes-nous fabuleusement prospères ou irrémédiablement ruinés ? Avons-nous tout gagné ou tout est-il perdu ? En ce début de XXIe siècle, deux visions radicalement différentes du sort de l’humanité sur la planète Terre coexistent et paraissent se contredire.

La première vision insiste sur les remarquables prouesses des humains depuis leur avènement il y a quelque 7 millions d’années : jadis frêles créatures dépourvues de presque tout avantage biologique significatif, immergées dans un environnement hostile, nous voilà devenus en quelques milliers d’années – et plus encore au cours des deux derniers siècles – souverains de la nature, maîtres de la biosphère, seigneurs de la Terre. Propulsé par le pouvoir de la coopération sociale aux quatre coins du monde, le voyage de l’humanité vers la prospérité ne laisse pas d’impressionner.

[…]

L’autre point de vue est bien plus sombre et revient à penser que l’humanité est pour le moins décevante : en l’espace d’un siècle, et plus encore depuis 1950, nous avons réussi à détruire substantiellement notre propre habitat – la seule planète vivante connue dans l’univers –, dégradant les trois quarts des terres et les deux tiers des mers et océans, nuisant à notre propre bien‐être, à celui de nos descendants et descendantes, et aux autres espèces avec qui nous partageons la vie pour des gains de court terme largement illusoires au vu de leur coût écologique.

[…]

Comment faire sens de la coexistence de ces deux narrations concurrentes ? L’une est‐elle tout simplement fausse tandis que l’autre serait juste ? Pouvons‐nous les comprendre de concert, les réconcilier ?

En 2003, un jeune garçon regardant l’écume causée par la concentration de détergents dans la rivière Tiete au Brésil.
Mauricio Lima/AFP

Le premier rapprochement possible de ces deux récits fait valoir que l’un et l’autre ont leur part de vérité, ce qui les sépare vraiment est leur horizon temporel : ce qui fut un succès indéniable pendant des siècles se transforme sous nos yeux, depuis quelques décennies, en un échec irréfutable. Oui, la partie la plus favorisée d’entre nous a pu évoluer vers la prospérité, mais elle est occupée à détruire ses fondements mêmes et nous devons comprendre pourquoi. Comment le développement humain peut‐il aboutir à la destruction de l’humanité ? Quelles dynamiques sociales sont devenues dysfonctionnelles et nocives au point de menacer non seulement notre bien‐être, mais notre existence même ?

Une autre façon de rendre justice à la validité de ces deux récits est de considérer l’espace plutôt que le temps : aucune communauté humaine ne peut vivre durablement en dehors de la biosphère, de sorte que notre exceptionnel bien‐être est entièrement conditionné par notre environnement. Alors qu’on nous fait encore croire que nous dépendons de technologies hors sol, voire extraterrestres alimentées par une ingéniosité autosuffisante, nous approchons en fait des limites finies de l’hospitalité unique de notre planète « boucle d’or » qui semble faite pour nous, pour peu que nous en prenions soin.

Une chose en tout cas est avérée : nos systèmes sociaux – à commencer par nos systèmes économiques – sont devenus autodestructeurs, et l’avidité d’une partie des humains est devenue préjudiciable à la poursuite de l’aventure de l’humanité. C’est pourquoi nous devons trouver des moyens pratiques d’inverser la spirale social‐écologique vicieuse dans laquelle nous sommes pris (nous détruisons l’habitat qui nous contient) pour entrer dans un cercle…

La suite est à lire sur: theconversation.com
Auteur: Éloi Laurent, Enseignant à Sciences Po et à l’Université de Stanford, économiste senior à l’Observatoire français des conjonctures économiques, Sciences Po