Écouter la mer, plutôt que la dominer : la leçon des Océaniens

Moins connue que d’autres, une thématique de La France insoumise (LFI), dans son programme en amont de l’élection présidentielle de 2022, a été dédiée à la mer. Elle affirme qu’elle est à la fois la « nouvelle frontière » et le « nouvel horizon de l’humanité ». Consciemment ou non, le programme de LFI reconduit deux généalogies distinctes pour penser l’espace maritime, que l’historienne Hélène Artaud retrace dans son ouvrage Immersion (La Découverte) : l’une, forgée par les Européens durant leurs traversées de l’Atlantique, et l’autre, tissée par les Polynésiens lors de leur peuplement du Pacifique.

Pendant longtemps, ces deux « perspectives » n’ont pas cohabité puis, lorsqu’elles se sont rencontrées à la fin du XVIIIe siècle, lors des voyages de Cook et Bougainville en Océanie, se sont mutuellement opposées, car leurs manières de penser la mer diffèrent radicalement. Dans la perspective atlantique, l’océan est toujours envisagé comme l’envers de la terre ferme : immense, vide, terrifiant. Dès lors, les marins européens et nord-américains l’abordent toujours bardés de dispositifs technologiques : des navires de plus en plus puissants, des instruments de mesure de plus en plus perfectionnés, etc. de telle sorte que la mer se trouve « opacifiée plutôt que révélée ».

Cette appréhension de l’espace maritime, que l’autrice qualifie de « technoesthésie », est à mille lieues de « l’écoesthésie » que pratiquent les Polynésiens dans le Pacifique. Bien que ce dernier soit deux fois plus grand que l’Atlantique, les Océaniens ne le considèrent pas comme un désert inhospitalier, mais, au contraire, comme une « mer d’îles », pour reprendre les termes du philosophe fidjien Epeli Hau’Ofa.

En effet, les Polynésiens, dans le périple séculaire qui les mena de Taïwan jusqu’à Hawaï et l’île de Pâques, n’eurent pas besoin des artefacts technologiques inventés par les Européens. Eux se repéraient dans la mer aux innombrables signes laissés par les éléments naturels et les autres vivants : les étoiles et la direction de la houle, mais aussi les attroupements de requins, le vol d’un oiseau, l’apparition d’une raie, etc.

Contrer une « myopie technique »

Lorsque les Européens découvrirent ce rapport joyeux à la mer aux antipodes du leur, fondé sur la peur et la lutte avec l’élément aquatique, ils refusèrent de croire ce qu’ils voyaient. Qu’on puisse s’orienter en mer sur de simples pirogues sans l’aide d’une boussole ou d’un astrolabe leur parut inconcevable ; aussi les récits des voyages de Cook et Bougainville passèrent sous silence les savoirs des insulaires.

Cette « myopie technique »

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Auteur: Maxime Lerolle Reporterre