Égypte blanche, Égypte noire : histoire d’une querelle américaine

En 1845, dans sa nouvelle fantastique Petite discussion avec une momie, Edgar Allan Poe met en scène des savants américains ramenant une momie à la vie après l’avoir démaillotée. À travers une discussion entre Allamistakeo (la momie) et les savants, Poe moque l’ignorance des savants et des « prétendus » égyptologues américains du XIXe siècle.

Depuis les campagnes napoléoniennes (1798-1801) et l’énorme succès de la Descriptions de l’Égypte (1809-1828), une vague d’égyptomanie touche les sociétés occidentales européenne et nord-américaine. Les récits de voyage, le développement des études égyptologiques et l’importation d’antiquités participent à diffuser dans l’imaginaire de la jeune société américaine une égyptomanie qui lui est propre.

Or à cette même époque, les spécialistes s’interrogent : les Égyptiens étaient-ils Noirs ? Cette simple hypothèse, avancée notamment par le comte de Volney, philosophe et orientaliste français, jette un froid dans une société américaine fondée sur l’esclavage.

Cette phrase, tirée du Voyage en Égypte et en Syrie (1797), marque le début d’un long débat anthropologique :

« Penser que cette race d’hommes noirs, aujourd’hui notre esclave et l’objet de nos mépris, est celle-là même à qui nous devons nos arts, nos sciences et jusqu’à l’usage de la parole. »

L’égyptomanie devient alors un enjeu social et politique : sous le prétexte de savoir quelle était vraiment la couleur de peau des pharaons, les partisans de l’esclavagisme trouvent de nouveaux arguments pour défendre leur société raciste, tandis que leurs détracteurs y voient matière à remettre en question les théories raciales et l’esclavagisme.

Démailloter les momies pour prouver leur « blancheur »

Ce débat est particulièrement exacerbé par certains « experts » tels que George Robin Gliddon (1809-1857), égyptologue autoproclamé.

Ce dernier donne de nombreuses conférences marquées par un moment phare : le démaillotage de momies, objet de fascination pour le public.

Ces séances, ouvertes à un public érudit, visent non seulement à faire connaître l’Égypte ancienne mais également à justifier, au moyen de preuves archéologiques, l’origine « caucasienne » des anciens Égyptiens. Gliddon, dans Otia Ægyptiaca (1849), écrit ainsi :

« Dans le crâne de cet homme, nous voyons l’un des nôtres, un Caucasien, un homme blanc pur, malgré le bitume qui a noirci sa peau ».

L’objectif de ces conférences est de réfuter, grâce à des études craniométriques – dont on sait aujourd’hui qu’elles n’ont aucun fondement scientifique – toute idée de « noirceur » de peau chez les anciens Égyptiens.

Dessins tirés de l’ouvrage de Josiah C. Nott et George Gliddon, Indigenous races of the earth (1857), qui prône le racisme scientifique en suggérant que les Noirs se situent entre les Blancs et les chimpanzés en termes d’intelligence.
Wikimedia

En d’autres termes, pour un Américain blanc du XIXe siècle, l’Égypte ancienne, par la grandeur de ses monuments et de sa civilisation, ne peut être issue d’une population d’Afrique noire. Adepte de la théorie des origines humaines de l’anthropologue Samuel George Morton, Gliddon fournira plusieurs crânes de momies qui permettront la publication en 1844 de Crania Ægyptiaca.

Face à ceux qui, comme Volney, pensent que le Sphinx de Gizeh prouve que les populations égyptiennes étaient noires, Gliddon écrit dans Otia Ægyptiaca (1849) :

« La mode a été de citer le sphinx comme une preuve des tendances nègres des Anciens Égyptiens. Ils prennent sa perruque pour des cheveux bouclés et comme le nez est enlevé, il est bien sûr plat… Mais même si le visage (ce que j’admets pleinement) a une forte tendance africaine, c’est un exemple presque solitaire, contre 10 000 qui ne sont pas africains ».

Convoquer tous les arguments possibles

Dans les années 1850, avec l’aide du Docteur Josiah Clark Nott, Gliddon publie en 1854 deux ouvrages extrêmement populaires aux États-Unis : Types of Mankind (Types d’Humanités) et Indigenous Races of the Earth or New Chapters of Ethnological Enquiry (Les races indigènes de la Terre ou Nouveaux chapitres de l’enquête ethnologique, non traduit, NDLR). En associant…

La suite est à lire sur: theconversation.com
Auteur: Charles Vanthournout, Professeur d’histoire-géographie et Doctorant en égyptomanie américaine, Université de Lorraine