« En attendant, je suis encore là. Je persévère »

Le poème qui ouvre cette anthologie bilingue, donne le ton. Un regard critique et ironique, sans complaisance, mais non dépourvu d’une certaine douceur, parfois amère, souvent amusée.

En souvenir de
Bon. Le bilan des années soixante-dix
peut-être bref.
Pas moyen de joindre les renseignements.
Étrange prodige, la multiplication des pains
ne concerna que Düsseldorf et ses environs.
La terrible nouvelle tomba sur les téléscripteurs,
fut enregistrée et archivée.

C’est grosso modo sans résistance
qu’elles se sont englouties elles-mêmes,
les années soixante-dix, n’offrant aucune
garantie pour les générations suivantes,
les Turcs et les chômeurs.
Quelqu’un s’en souviendra-t-il avec indulgence ?
Ce serait trop demander.

Pas de nostalgie donc, juste l’émotion, « tout simplement » (« La maison d’autrefois »), et, de l’intime (« Le divorce ») au bilan d’une époque (« Brève histoire de la bourgeoisie »), l’investigation des puissances et des formes (jusque dans l’absurde : « Situations de privilège »), des lieux et des moments d’une vie. Ces poèmes sont autant de façons de « Rire des lois, du magistrat et des dieux » (Saint-Just), mais sous un mode mineur, en ce qu’ils déjouent la grandiloquence, et détraquent le jeu des forces, pour se fixer sur la poésie. « Baisser le ton » est d’ailleurs le titre de l’un de ses textes, où pourrait se donner à lire « l’art poétique » de Hans Magnus Enzensberger :

Encore et toujours augmenter la dose,
grave erreur. Pour un temps,
laisser de côté le plus gros –
c’est pas mal non plus : des mots plus amènes,
moins de vacarme dans la poésie
et les supermarchés.

Il se peut qu’elle se présente encore,
l’heure bleue, pour un temps,
avant que le premier crétin venu
ne se mette à tirer dans la foule.

Ce choix de poèmes, écrits sur plus de trois décennies, fixe une époque qui est toujours la nôtre, se débattant avec ses monstres et ses redites. Le regard mesure la distance et le contemporain. La fragilité, la pesanteur surtout. Mais, à partir de l’écart introduit par l’acte poétique, en fonction de ces infimes déplacements, qui ouvrent la porte aux dérèglements. Et comment ne pas lire le réjouissant « Avant de se retirer » à l’aune de la pandémie et de l’agitation gouvernementale actuelles ?

Plein de compréhension
pour le ministre de la Santé
qui, dépassé, croit gouverner mais,
épuisé par la pagaïe inextricable,
tandis qu’au sous-sol son équipe
de planification danse…

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Auteur: lundimatin