En Espagne, le « potager de l'Europe » assèche un fleuve

Sacedón (Espagne), reportage

Une eau turquoise rencontre le sable et l’herbe sous un soleil radieux, au pied d’une petite montagne. Sur la plage, trois autocars, une foule de voitures venues tout droit des années 1970 et des grappes d’estivants en maillot. Sur l’eau, deux petites embarcations voguent paisiblement… « Tu vois le monde qu’il y avait ? C’était une sacrée époque ! », se souvient Juan José Jiménez en disposant sur la table quelques photos aux coins cornés par les années. Il fut un temps, son restaurant avait les pieds dans l’eau, à Sacedón, village de 1 500 âmes dans la région de Castille-La-Manche, au centre du pays.

Aujourd’hui, là où jadis flottaient des bateaux, il ne reste plus qu’une plaine poussiéreuse colonisée par une herbe rêche. La rive se trouve 700 mètres plus loin.

La coupable ? L’agriculture intensive, qui, assèche le Tage, plus long cours d’eau de la Péninsule ibérique. Deux énormes tubes pompent chaque année des milliards de litres d’eau pour arroser les cultures intensives de la zone d’Alicante, Murcie et Almeria, dans le sud du pays. Ces territoires très ensoleillés mais aussi extrêmement secs sont devenus « le potager de l’Europe » grâce au pompage massif d’or bleu.

Depuis quelques mois, de vives tensions politiques secouent les régions espagnoles : le gouvernement veut limiter les volumes transférées vers les cultures du Sud.

« C’était la folie. On appelait ça la plage de Madrid »

Dans les années 1950, pour épauler l’agriculture et la consommation des habitants, ainsi que pour produire de l’électricité, l’Espagne de Franco a érigé une série de barrages pour inonder plusieurs vallées sur le cours haut du Tage. Cela a créé un réseau de gigantesques lacs artificiels. « L’oncle de mon père a acheté un terrain ici en disant : “Je vais monter un restaurant sur la rive” », raconte Juan José Jiménez, propriétaire du bar Pino. L’établissement, l’un des premiers, a ouvert ses portes en 1961. Sacedón, village perdu dans la montagne, a vu les touristes affluer depuis la capitale. Des résidences modernes sont sorties de terre et de petites villas ont poussé sur le bord du lac. « C’était la folie. On appelait ça “la plage de Madrid”. Chaque week-end venaient 20 ou 30 autocars, il y avait plusieurs services de location de matériel nautique, trois discothèques, neuf bars dansants. Imagine, dans un village de 1 200 habitants ! »

Las. En 1979, l’aqueduc Tage-Segura est inauguré, pour envoyer de l’eau du fleuve vers le “Levant espagnol”, dans les régions de Valence, de Murcie et d’Andalousie. Cette dernière est l’un des territoires les plus favorables à l’agriculture…

La suite est à lire sur: reporterre.net
Auteur: Alban Elkaïm Reporterre