En première ligne du front esthétique

Meurtre !

Ce livre est un dernier avertissement. Il s’agit d’arrêter l’accomplissement d’un meurtre. Un meurtre dont on ne se rend pas compte  : « …on n’a pas encore trouvé le cadavre. Là est le piège dont presque personne n’est conscient (…) Quelque chose disparaît, sans qu’on sache vraiment ni quoi ni comment. » (p. 20). Le livre commence par ce constat, et plus on avance plus on comprend : c’est un meurtre presque parfait, exécuté en plein jour, par un monstre à mille têtes qui cache son crime sous une visibilité totale. « Car l’omniprésence du monstre rend presque impossible de déterminer où, quand, qui a tué quoi. » (p. 187). C’est la sensibilité esthétique particulière d’Annie Le Brun qui l’a rendue capable de déchiffrer l’énigme du drame se déroulant dans l’opacité du temps présent. La victime du meurtre était déjà au centre de son essai Ce qui n’a pas de prix de 2018 : la « beauté vive » et l’imagination. Dans ce livre, elle défendait l’aspiration au merveilleux de l’être humain à travers l’art, contre « un nouvel enlaidissement du monde ». Elle y montrait « une collusion de la finance et d’un certain art contemporain, à l’origine d’une entreprise de neutralisation visant à installer une domination sans réplique », une entreprise soutenue par des gestionnaires publics de la culture, et elle analysait le recours concomitant « à une esthétisation généralisée pour camoufler le fonctionnement catastrophique d’un monde allant à sa perte. »

Dans ce nouveau texte, elle et son co-auteur montrent que cette entreprise n’est qu’un aspect d’un processus meurtrier bien plus vaste, la destruction massive de ce qui est l’essence vitale de l’imagination, son support et son espace : l’image. Dans sa présentation de Sade, ce « bloc d’abîme », dans ses essais déjà et tout dernièrement dans la magnifique exposition Sade. Attaquer le soleil, du Quai d’Orsay (14-10-2014 au 25-1-2015), dont elle fut commissaire, Annie Le Brun a signalé le rôle clef de l’image  ; mais aussi dans d’autres textes comme par exemple Les arcs-en-ciel du noir : Victor Hugo. C’est ce rapport intime et de longue date avec l’image qui l’a disposée à comprendre que c’est l’image qu’on est en train de tuer ; et à identifier le, voire les auteurs du crime et leur mode d’action.

Concernant l’identification de ce qui est en danger de disparaître, il est d’extrême urgence de sauver l’essence même de l’image…

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Auteur: lundimatin