Au lendemain des élections législatives du 29 janvier, le détenteur du nouveau pouvoir tunisien, le Président Kaïs Saïed, n’a pas manqué de se révéler au grand jour : solitaire, obstiné et néanmoins irrésolu et velléitaire. Est-il pour autant isolé et condamné en raison du faible taux de participation (11,4% des voix, soit 895.002 votants sur 7.853.447 d’électeurs)?
Rien n’est moins sûr, dans la mesure où la masse des votants n’est ni identique, ni similaire à celles des soutiens réels et potentiels au chef de l’État. Ces soutiens se mesurent à l’aune du capital de confiance populaire, certes usé mais encore effectif ainsi que la faiblesse des concurrents au sein d’une opposition politique divisée.
L’abstention massive – à ne pas confondre avec le boycott qui est minoritaire – de près de 89 % du corps électoral, soit environ 9 Tunisiens sur 10 – s’explique, selon le président de la République, par le rejet de l’institution parlementaire suite à l’expérience malheureuse de l’Assemblée précédente – gelée puis dissoute à l’issue du « coup de force » du 25 juillet 2021.
Une telle interprétation à chaud, sans réflexion préalable et sans étude approfondie, est le propre du populisme. Celui-ci réduit, par une logique simple voire simpliste, la complexité de la situation à un seul facteur issu du sens commun. Or, l’abstention massive lors des législatives organisées en deux tours (17 décembre 2022 et 29 janvier 2023) dénote d’un refus de la politique officielle.
Elle s’explique également par une fatigue citoyenne résultant d’un nombre excessif de consultations électorales alors que la crise économique et sociale générant une détérioration du pouvoir d’achat et une pénurie des produits de première nécessité est la préoccupation majeure des Tunisiens.
“Un pouvoir sans pouvoir”
De tout cela, le Président n’en a cure et ne les évoque jamais, sauf pour en rendre responsables des forces monopolistiques obscures, renouant ainsi avec la théorie de la conspiration, l’autre ingrédient idéologique du populisme.
Contrairement à l’image diffusée par les médias internationaux, le nouveau pouvoir tunisien n’est pas de type dictatorial**. Ceci, malgré la personnalisation et l’absence de concertation avec les corps intermédiaires.
L’un de ses paradoxes est justement d’être « un pouvoir sans pouvoir » et sans autorité. Des pans entiers de l’économie, de la société et de la culture lui échappent totalement. Qui plus est, la rhétorique politique se substitue à l’action publique. Le Président parle et accuse sans agir et sans modeler le cours de l’histoire. D’où le caractère velléitaire du pouvoir sans prise sur le présent et le quotidien. Du coup, les citoyens sont démoralisés par l’absence de solution à la crise sans précédent que traverse le pays.
Il est vrai que cette crise résulte pour l’essentiel d’une gouvernance chaotique durant la dernière décennie. On constate également que le Président qui a concentré tous les pouvoirs entre ses mains sans s’entourer de conseillers compétents et sans engager un dialogue inclusif est responsable du marasme actuel.
Cette situation est d’autant plus regrettable qu’au lendemain du tournant historique du 25 juillet 2021 soutenu par la majorité écrasante des Tunisiens, la chance s’est présentée de construire un consensus politique et de renforcer le pouvoir par une ouverture sur les forces politiques et les organisations de la société civile. Rien de cela ne fut effectué car le Président Saïed se veut un « homme propre », « sans ambition de pouvoir » et sans stratégie de communication. Il a préféré faire cavalier seul, mû qu’il est par la doctrine messianique selon laquelle tous les politiques sont corrompus et doivent, en conséquence, être écartés de la scène.
Un président solitaire
Cette conception puritaine est la cause de son isolement puisque dans sa prétendue guerre contre « l’ennemi imaginaire », il a perdu progressivement le soutien de la plupart de ceux qui l’ont soutenu de près, sans pouvoir écarter ses adversaires. En ce sens, il est peu politique car il ignore la logique des alliances et des mobilisations des « amis ». Pour lui, « l’ennemi » est partout et cette obsession pathologique risque de l’isoler à jamais de la société politique et civile….
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Auteur: Mohamed Kerrou, Professeur de sciences politiques, Université de Tunis El Manar