En voulant « libérer » l’expression sur Twitter, Elon Musk poursuit en vain une utopie dépassée

Après plus de six mois de péripéties qui ont jusqu’au dernier moment laissé planer le doute sur l’issue de ce processus, Elon Musk a pris le contrôle de Twitter le 27 octobre dernier. Les soubresauts et revirements qui ont caractérisé la phase d’acquisition de la plate-forme préfigurent-ils ce que sera désormais le quotidien de l’entreprise ?

Comme il l’a sans cesse répété, le nouveau propriétaire des lieux compte « rétablir » la liberté d’expression sur la plate-forme : il l’a réitéré dès qu’il a pris les commandes, dans un tweet proclamant que « l’oiseau est libre ».

Pourtant, il réalise d’ores et déjà que sa marge de manœuvre dans ce domaine est, en fait, très limitée.

Réseau social et modération sont indissociables

Si elle se met en place comme souhaité par celui qui, le Jour J, se décrivait comme « Chief Twit » sur son profil Twitter, cette politique non interventionniste ne serait en réalité pas fondamentalement nouvelle pour la plate-forme : il s’agirait plutôt d’un retour aux sources, remontant à une époque où l’entreprise de l’oiseau bleu, dans la naïveté et l’idéalisme de ses jeunes années, se décrivait comme « l’aile en faveur de la liberté d’expression, au sein du parti de la liberté d’expression ».

Or, si Twitter s’est progressivement écarté de cette posture initiale, c’est précisément parce qu’elle n’était pas tenable.

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Dans son ouvrage Custodians of the Internet, qui fait référence dans le domaine, le chercheur Tarleton Gillespie n’hésite pas à présenter la modération comme consubstantielle (« essentielle, constitutionnelle, définitionnelle ») aux plates-formes numériques : ce serait donc méconnaître leur nature même que de prétendre réduire cette activité à sa plus simple expression. Membre du Conseil Confiance et Sécurité (Trust and Security Council) de Twitter, la juriste Danielle Citron n’a pas exprimé autre chose lorsqu’elle a interpelé Elon Musk sur ce sujet, sur la plate-forme elle-même.

L’expérience confirme l’écart béant entre les promesses d’une expression sans garde-fous avancées par certaines plates-formes à leurs débuts et les pratiques qui finissent par prendre forme sur celles-ci. Créées au cours des dernières années, les plates-formes Parler, Gettr ou Truth Social, s’étaient d’emblée présentées comme étant un refuge pour la liberté d’expression. Dans les faits, elles se sont rapidement converties à un filtrage intensif des contenus publiés par leurs utilisateurs, par exemple s’agissant de posts dénonçant l’invasion du Capitole par les partisans de Donald Trump le 6 janvier 2021. En outre, ces décisions de retrait se prennent souvent sur la base de critères non transparents, puisque leurs conditions d’utilisation sont parfois extrêmement succinctes ou se limitent à des formulations génériques sur ce point.

Même l’homme le plus riche du monde est soumis à des contraintes économiques

Le jour même de la prise de contrôle, le nouveau patron a tenu à rassurer les annonceurs sur le fait que la plate-forme ne deviendrait pas « un enfer où tout est permis », reconnaissant de fait la nécessité de la modération.

Il ne peut en effet ignorer l’impératif économique de préserver la capacité d’attraction de cet environnement numérique pour l’utilisateur moyen, et donc pour les compagnies qui souhaitent y déployer leurs efforts publicitaires. Tout sauf un détail pour une entreprise qui, pour l’heure, tire 90 % de ses revenus de la publicité.

Conscientes de la force de ce moyen de pression, plus d’une cinquantaine d’ONG ont récemment publié une lettre ouverte adressée aux vingt entreprises qui investissent le plus en publicité sur Twitter, pour les enjoindre à exiger que soient conservées les « pratiques basiques de modération déjà en vigueur sur la plate-forme ». Plusieurs compagnies ont d’ores et déjà annoncé suspendre leurs dépenses de marketing sur le réseau social. Bien que Musk ait cherché à rassurer en rappelant que les règles et pratiques existantes restaient pour l’heure toujours en place, il a également insisté le caractère provisoire de cette situation.

D’autres motifs…

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Auteur: Barthélémy Michalon, Professeur au Tec de Monterrey (Mexique) – Doctorant en Sciences Politiques, mention RI, Sciences Po