Escroquerie et finance internationale : les leçons de la chute de Gautam Adani, troisième fortune mondiale

Le 24 janvier 2023, le hedge fund (fonds spéculatif) new-yorkais Hindenburg Research, fondé en 2017 par Nathan Anderson en référence au dirigeable allemand qui avait explosé en vol aux États-Unis en 1937, publie une étude de 106 pages intitulée « Adani Group : comment la troisième fortune mondiale a monté la plus grande escroquerie de l’histoire des affaires ».

Hindenburg dénonçait un conglomérat particulièrement opaque de 578 filiales – nombre d’entre elles dans des juridictions offshore comme les Caraïbes et sans activité opérationnelle – avec pas moins de 6 025 relations croisées entre elles particulièrement propices à la cavalerie financière.

Il relevait des fraudes comptables éhontées, une corruption des autorités indiennes à grande échelle, du blanchiment d’argent et enfin des manipulations de cours qui auraient artificiellement gonflé la capitalisation boursière des sept sociétés cotées détenues par Adani Group à huit fois leur valeur réelle, expliquant la fulgurante progression de la fortune du fondateur du groupe, Gautam Adani, de 20 milliards dollars en 2020 à plus de 143 milliards dollars selon le classement Forbes de septembre 2022.

Ces révélations ont immédiatement déclenché une vague de panique à la Bourse de Bombay. Les actions du groupe ont perdu 15 % en 24 heures et plus de 50 % au 13 février 2023 entraînant l’annulation in extremis d’une augmentation de capital de 2,5 milliards dollars prévue le 31 janvier. En conséquence, la valeur boursière du groupe est passée en moins de deux semaines de 250 milliards de dollars à moins de 125 milliards de dollars réduisant d’autant la fortune du magnat.

En réponse à cette attaque solidement argumentée le directeur financier d’Adani, Jugeshinder Singh a rapidement publié un document de 413 pages qualifiant les allégations du fonds spéculatif de combinaison particulièrement pernicieuse de désinformation sans fondement. Selon Adani, l’étude n’avait d’autre but que de discréditer le groupe pour empêcher l’augmentation de capital en cours, rappelant que les plus hautes juridictions indiennes avaient toujours rejeté les accusations de fraude contre le groupe.

Chevaliers noirs

Hedge fund spécialisé dans la vente à découvert, Hindenburg n’en était pas à son coup d’essai : en 2020, le fonds avait déjà démontré que la société Nikola, un constructeur de camions à hydrogène, était une gigantesque arnaque. Hindenburg a fait condamner son fondateur par une cour fédérale de New York et empocher de substantiels gains en anticipant la faillite de la société et la chute de son cours de bourse.

La question de la légitimité des ventes à découvert revient donc en force en Inde. Cette technique consiste à emprunter des titres d’une société cotée avec engagement de les restituer à leur propriétaire à une date ou pendant une période fixée à l’avance, puis à les vendre en bourse dans l’espoir de les racheter rapidement moins cher en encaissant la plus-value.

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Bien qu’aucune étude scientifique n’ait jamais prouvé leur toxicité (au contraire, cette pratique accroît la liquidité du marché et permet aux vendeurs de trouver une contrepartie acheteuse en cas de panique des marchés financiers), la vente à découvert a toujours mauvaise réputation chez certains régulateurs comme l’Autorité des marchés financiers (AMF) en France.

Pour ses adeptes, elle comporte toutefois des risques bien plus grands que les achats d’action car si le cours d’une action peut tomber à zéro il n’y a théoriquement pas de limite à la hausse d’une action (comme le dit l’adage boursier sky is the limit, le ciel est la seule limite) lorsque des acheteurs sont prêts à payer n’importe quel prix.

Cette mésaventure s’est concrétisée en janvier 2021 pour les vendeurs à découvert de l’action Gamestop vendue à 5 dollars dans l’attente d’une faillite vraisemblable pour une société de la vieille économie disruptée par la vague des nouvelles technologies. Mais sous le coup d’une action concertée des « gamers » devenus apprentis traders, le cours de l’action s’enflamma jusqu’à… 483 dollars le 28 janvier. Le soufflé est depuis largement…

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Auteur: Éric Pichet, Professeur et directeur du Mastère Spécialisé Patrimoine et Immobilier, Kedge Business School