Et la rue devient un privilège

On ne va pas se mentir, depuis 1995, j’ai usé le pavé du centre-ville de Toulouse. Cette année-là, lors de mes premières manifs, le premier sinistre droit dans ses bottes faisait face à la rue chaude comme la braise. C’était le plan Juppé et un sacré beau mouvement social. Je me souviens d’un chapelier qui bavait sur les grévistes fainéants qui nuisaient à son commerce. Le lendemain, sa vitrine avait été maculée d’œufs et lui-même en avait pris un ou deux, enfin je crois. C’était des manifs qui ne voulaient pas finir ailleurs qu’au Capitole, parce que « c’est là qu’on rigole ». Les étudiant.es avaient installé une catapulte à PQ trempé dans la colle, la façade de la mairie ressemblait à des chiottes de collège et pas mal de vitres avait explosé…

Cortège non gratta

Il y en eut beaucoup d’autres, des moments où l’on pouvait « emprunter » la rue d’Alsace- Lorraine, en plein centre, avec des cortèges bruyants et plus ou moins disciplinés. Cela a changé sans que l’on s’en rende vraiment compte. D’un coup, on s’est retrouvés avec une quasi interdiction du centre-ville et des barrages mobiles dressés par les flics le long des cortèges. En 2014, suite à la mort de Rémi Fraisse sur la ZAD du Testet, une série de manifs avaient eu lieu. Elles étaient pas mal agitées, avec un peu de casse et beaucoup de lacrymo. Cette succession de samedis mouvementés ne fût pas au goût des commerçants qui ont alors demandé « de ne plus autoriser les manifestations en hypercentre et de les dévier systématiquement sur une zone n’affectant pas le commerce du centre », avec des menaces explicites : « Dans l’avenir, si vous et vos services n’étiez pas en mesure d’assurer la sécurité de nos biens et de nos clients, nous serions contraints de nous organiser pour défendre nous-mêmes la ZAD de l’hypercentre de Toulouse contre toute agression extérieure. ». Si ces rodomontades n’ont jamais donné lieu à une organisation en milice, elles sont néanmoins l’expression d’un sentiment de propriété légitime. Et lors du mouvement des Gilets jaunes, rebelote : « Certains commerçants n’ont aujourd’hui plus rien à perdre et pourraient se faire justice eux-mêmes à force de perdre les nerfs. C’est un miracle s’il n’y a encore rien eu de grave à Toulouse. Le préfet est prévenu. ». On pourrait rire de ces gesticulations si l’effet n’était pas si concret sur nos corps et nos espaces : la dispersion systématique des cortèges avec leur lot de violences…

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Auteur: IAATA