Exit Hannah Arendt, II (La mystification du système totalitaire) — Bruno GUIGUE

Absorbant toutes les activités humaines pour leur donner une signification univoque, le totalitarisme, pour Hannah Arendt, est un système qui transcende ses incarnations particulières. Peu importent alors les différences concrètes entre communisme et nazisme. L’abstraction du concept de totalitarisme, chez la philosophe, l’exonère d’une analyse proprement historique du phénomène. Appareil destructeur livré à sa propre démesure, le totalitarisme y revêt les traits d’une entité abstraite et homogène. Déconnectée de l’histoire réelle, l’idéologie paraît se suffire à elle-même, exercer ses effets en toute autonomie, modeler le cours des événements à son image : c’est la « logique d’une idée ».

Rien d’étonnant, dès lors, à ce que le spectre du totalitarisme, chez Arendt, plane au-dessus de l’histoire réelle et de ses affrontements de classe. Occultant la genèse historique des deux mouvements, cette théorisation ignore l’opposition irréductible entre communisme et nazisme. Elle fait comme si la mystique de la race et l’idéal prolétarien étaient de même nature. Elle passe résolument sous silence la relation structurelle entre nazisme et capitalisme. Mais il y a pire : en élevant le concept de totalitarisme à la dignité d’un principe explicatif, elle occulte la visée exterminatrice qui caractérise l’entreprise nazie, le racisme structurel qui organise sa vision du monde, son acharnement meurtrier contre les populations civiles.

L’inexactitude des analyses de Hannah Arendt, cependant, ne porte pas seulement sur l’idéologie respective des deux régimes. Sa théorie du système concentrationnaire se déploie en dehors de toute description factuelle. Elle soumet aux mêmes catégories apparemment rationnelles deux institutions radicalement différentes. Contrairement aux camps nazis, le système carcéral soviétique n’obéissait pas à une logique d’extermination, mais de punition et de rééducation. Le nombre des victimes du régime nazi est incommensurable avec celui d’un système répressif soviétique dont 90 % des détenus étaient de droit commun, et dont la plupart sont…

Auteur: Bruno GUIGUE Le grand soir
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