« Extraire le noyau émancipateur du communisme de ce champ de ruines »

Enzo Traverso revient avec un livre somme sur l’histoire culturelle de la révolution ; de l’idée et de l’expérience révolutionnaires. Dans un très beau récit, il en dessine les lignes de crêtes et les failles, les images enivrantes et les naufrages, le hors-champ et l’effondrement. Trop resserré cependant sur la constellation ouverte par la révolution russe, l’essai nous laisse sur notre faim, faute de ne pas explorer une partie de ce passé sauvée dans les luttes actuelles.

Révolution. Une histoire culturelle s’ouvre sur le choc produit sur l’auteur par la redécouverte du célèbre tableau de Théodore Géricault : le Radeau de la Méduse (1819). Cette peinture « met en scène la souffrance des gens ordinaires », écrit Enzo Traverso, tout en faisant écho à la révolution haïtienne (1804) et, plus largement, à ce « qui commence à peine à prendre forme, à savoir une vague insurrectionnelle des peuples racialisés et des classes dominées ». Préfigurant l’iconographie socialiste et communiste, le Radeau de la Méduse « évoque à la fois un naufrage et l’annonce d’une révolution » (pages 7-10). Et c’est au cœur de cette trame – entre promesse et défaite –, qu’Enzo Traverso interroge le parcours et les représentations des révolutions, en s’appuyant sur Marx et plus encore sur Walter Benjamin.

L’enjeu de ce livre est « de proposer une élaboration critique du passé » (page 35), en historicisant l’expérience communiste. Cela suppose en retour de « réhabiliter le concept de révolution comme clef d’interprétation de l’histoire moderne » (page 13), et de dépasser l’idéalisation de la révolution russe ainsi que son rejet horrifié, pour chercher les tensions et contradictions à l’œuvre dans son histoire globale. Or, ce dépassement et cette réhabilitation exigent d’adopter le regard du vaincu et de ne pas faire l’hypothèque du souffle épique qui passe dans l’expérience révolutionnaire, et qui se donne peut-être mieux à sentir dans des cristallisations d’images ou – pour reprendre la terminologie de Benjamin – dans les « images dialectiques ». Il serait réducteur de circonscrire les révolutions à quelques gestes esthétiques – aussi beaux fussent-ils – au détriment de leur nature politique. Il n’en demeure pas moins que les révolutions engendrent souvent « des tournants esthétiques » dont Traverso entend prendre la mesure. En fin de compte, l’ambition de Révolution. Une histoire culturelle est d’« extraire le…

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Auteur: lundimatin