Faire défiler. Le zéro (click) et l'infinite scroll.

Dans la suite d’une interview que je viens de donner (et qui paraîtra un jour dans l’excellent Epsiloon), quelques réflexions au sujet du « scrolling » ou plus exactement de « l’infinite scroll ».

Depuis ma thèse en 2002 sur les liens hypertextes, je n’ai jamais cessé de m’interroger sur ce plus petit dénominateur commun de nos pratiques numériques et des outils et environnement qui peuplent et meublent nos vies connectées. Le passage du lien au like fut une révolution mortifère. Et avec l’économie de l’attention (et celle de l’occupation) se sont inventées des nouvelles formes de suggestions qui sont pour l’essentiel devenues autant de causes de (nos) sujétions.

Cela va peut-être vous paraître assez fou mais j’ai un souvenir précis, très précis même, de la première fois où je me suis trouvé face à l’invention d’Aza Raskin, le « scrolling infini ». Plus besoin de cliquer sur « page suivante », on ne cessait plus jamais de … défiler. C’était en 2006. Et je me revois en train de « tester » cet infini. Je me revois dans ce paradoxe et dans l’épreuve fascinante de cet oxymore : on m’explique que ce défilement peut être infini mais je sais qu’il est en réalité « borné », qu’il aura une « fin » ; mais je perçois également que je serai ou épuisé ou lassé ou frustré ou contraint avant que d’atteindre cette finitude lointaine que l’on me présente à tort comme un infini. Alors je teste. J’essaie l’infini. Et je me souviens avoir été au moins autant infiniment perplexe qu’infiniment fasciné. Une mythologie. C’est l’image des Danaïdes et de leur tonneau percé qui m’est immédiatement apparue. Je regardais des Danaïdes remplir un tonneau percé et j’étais autant fasciné par la perversité du châtiment que par l’infini de cet écoulement et par la vanité de celles qui le rendaient possible.

Moi qui n’avais vécu toute ma vie que dans l’espace de la page, moi qui avais interrogé à de multiple reprises ce que le web avait fait de cet espace de la page, moi qui avais donc analysé ce que les liens hypertextes permettaient de faire aux relations entre ces pages et qui n’avais eu de cesse que de m’enthousiasmer pour cet espace de possibles, je voyais donc, et ce n’était pas neutre, désormais l’espace physique de la page céder et s’effondrer sous le poids d’un pseudo-infini qui allait tout changer. A commencer par la capacité de lire (comment lit-on un livre infini autrement que chez Borges ?) et la capacité de lier, de relier, et donc de relire (comment fait-on un lien vers l’infini et comment envisager de relire l’infini…

La suite est à lire sur: www.affordance.info
Auteur: olivierertzscheid Olivier Ertzscheid