Faire du « chez toi » un lieu du soi

Journal d’une déchireuse.
Du cul aux gestes mièvres, dépeindre. Se déprendre pour habiter. D’une rue puante du centre ville au métal rouillé d’un train de marchandises. Peindre quelque chose, même presque rien. Faire de nos frémissements quelque chose de fluo et d’intime.

Ça demande un certain temps, une patience, le matériel est lourd, volumineux, ça creuse de petits sillons le longs des épaules, durci la colonne. C’est toujours assez marrant de se promener dans une zone industrielle un dimanche. Tout est gris et ignoble, y’a personne. Les bras chargés de poches, de sacs en plastique, traînant un caddie zèbre derrière soi. T’as l’impression de ressembler à tata Bibi qui rentre des courses, de faire une promenade entre les étals d’emballages, de pierres et d’herbes contaminées, d’amas de papiers mouillés qui jonchent le sol et dont les écrits demeurent indéchiffrables. Le temps est dégueulasse. Toujours dégueulasse, c’est comme une prophétie. Ça me rappelle les hivers à Bordeaux. Quand l’humidité du dehors rend ta peau collante et que le poids des nuages te rend barge. Brise fine, insistante, lumière verdâtre, quelques halos rouge sang. Le ciel nous hurle dessus. On s’en branle. On dirait le visage fermé d’un détestable père de famille, noyant les corps et aspirant les êtres dans ses tempêtes de cris. Tu sais, pour contrer ses attaques on fabrique une lumière, délétère, et des couleurs acidulées. Nos petits corps, que l’obscurité fragilise, se défont doucement de la peur du grand. Un jour j’ai peint une grande femme immense et flamboyante munie d’une technobite, parce que peindre c’est pénétrer. Le mur et l’autre, par la chevelure, le feu. De grâce, un même mouvement, rien à voir avec cette danse sordide qu’on appelle trop souvent amour. Les muscles durs et douloureux, refuser, dans la couleur de se faire toute petite. Petite, petite, dans les rues du quartier je cherche à prolonger mes cris par d’épaisses formes aqueuses. De la mouille. De la mouille sur les murs du « chez toi ». Faire du « chez toi » un lieu à soi. Quand chez soi on n’a pas de chambre. Ni d’espace à soi. Quand chez soi se résume à trois pièces censées contenir quatre corps. Les toilettes, même sans verrou, peuvent occuper temporairement cet usage. Mais ça pue la pisse et c’est dégueulasse. Et la mère rentre tout le temps, sans toquer. Le chat chie partout même sur mes posters préférés….

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Auteur: lundimatin