Fatima Ouassak : « Chez les écologistes, la question coloniale est un angle mort »

Fatima Ouassak est politiste et militante écologiste dans les quartiers populaires. Elle publie Pour une écologie pirate (éd. La Découverte).

Ce grand entretien a été réalisé pour le podcast de Reporterre. Écoutez-le sur toutes les plateformes :


Reporterre — La liberté est au cœur de votre livre, et notamment la libération de la terre. Vous développez une idée originale : dans les quartiers populaires, ce qui se joue, c’est la question de la terre.

Absolument. Lorsqu’on demande aux habitants des quartiers populaires pourquoi ils ne s’engagent pas sur le front écologiste, on oublie qu’on a affaire à des gens qui ne sont pas considérés comme étant chez eux là où ils habitent. Je qualifie même les populations des quartiers populaires de « sans terre ». Elles sont là depuis plusieurs générations et, pourtant, n’ont pas de rapport sensible, charnel, affectif, à la terre. On les désancre, c’est-à-dire qu’on leur répète à longueur de temps qu’elles ne sont pas ici chez elles, que cette terre n’est pas la leur.

C’est le débat qu’a imposé l’extrême droite dans le débat public, celui de la remigration. À cette question, le camp progressiste n’a rien d’autre à opposer que l’utilité des populations des quartiers populaires : « Respectons cette population, acceptons-la, tolérons-la, parce qu’elle est utile. » C’est une forme de sous-humanisation : cette population n’est légitime à être en France et en Europe que dès lors qu’elle est utile au capital.

Qu’est-ce qui fait que, dans les quartiers populaires, on ne se sent pas concerné par la protection de l’environnement ? Parce qu’il y a des contrôles policiers, par exemple, où l’on nous demande de sortir nos papiers pour prouver qu’on habite bien là. Il faut pouvoir se sentir chez soi pour pouvoir protéger cette terre. Ce que je dis à mes enfants, ce que nous pouvons dire à cette population, nous, militants des quartiers populaires, militants politiques, militants écologistes, c’est : vous êtes ici chez vous !



Vous écrivez : « Être chez soi, c’est pouvoir accueillir qui l’on veut sans avoir à le justifier. »

On a créé de l’inégalité de classe, presque de l’inégalité de race, entre les populations qui vivent en Europe et qui peuvent circuler en Afrique, et les populations en Afrique qui ne peuvent pas circuler de la même manière en Europe. Pourquoi n’aurait-on pas le droit dans les quartiers populaires d’accueillir les nôtres, nos familles, nos amis restés au pays ? On ne sera chez nous en Europe que dès lors qu’on pourra accueillir les nôtres.



Pour se sentir chez soi, pour être ancré dans une terre, dans une ville, dans un quartier, il faut pouvoir…

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Auteur: Hervé Kempf Reporterre