Faut-il s’inquiéter des pertes des banques centrales ?

L’une des conséquences de la politique monétaire de remontée des taux pour lutter contre l’inflation est la baisse des prix des actifs financiers. Pour les banques centrales, cela se traduit par une dévalorisation de leurs titres en portefeuille, ceux qu’elles ont achetés dans le cadre des programmes d’assouplissement quantitatif (« quantitative easing », ou QE) – mis en place depuis 2015 en zone euro – et ceux qu’elles détiennent pour compte propre. Aux Pays-Bas ou en Belgique, les banques centrales ont annoncé qu’elles devraient enregistrer de lourdes pertes à cause de ces moins-values.

Ces moins-values sont soit latentes, lorsque les titres sont conservés, soit réalisées, lorsque les titres sont arrivés à échéance ou qu’ils sont revendus. Dans les deux cas, la moins-value est actée au plus tôt. Dans le cadre du programme d’achat de titres publics (PSPP, Public sector purchase program) de la Banque centrale européenne (BCE), le montant nominal des titres arrivés à échéance est intégralement réutilisé pour racheter de la dette publique. Ce qu’on appelle le « quantitative tigthening » (resserrement quantitatif) n’a donc pas encore commencé en zone euro.

Au Royaume-Uni, la Banque centrale d’Angleterre (BoE) a en revanche débuté ses reventes et le parlement britannique devrait se prononcer le 16 novembre sur un éventuel versement du Trésor d’un montant de 11 milliards de livres sterling pour compenser ses pertes ! La situation est-elle réellement si critique ? Quelles peuvent être les conséquences de ces pertes au sommet du système monétaire sur le reste de l’économie ? Décryptage avec Jézabel Couppey-Soubeyran, conseillère scientifique à l’Institut Veblen et maîtresse de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.


The Conversation France : Faut-il s’inquiéter de la situation des banques centrales après des années de rachat massif d’actifs ? En quoi les pertes peuvent-elles être problématiques ?

Ce serait problématique pour une entreprise normale ou une banque commerciale. Or, la banque centrale n’en ni l’une, ni l’autre ! Une perte n’est pas grave en soi pour une banque centrale. La Banque des règlements internationaux (BRI), la « banque centrale des banques centrales », l’explique clairement dans son ouvrage sur les finances des banques centrales. Ce sont les seules institutions à pouvoir aujourd’hui supporter une perte lourde. C’est ce que nous avons voulu rappeler avec mon co-auteur Pierre Delandre dans une tribune récente.

En effet, en dépit des apparences juridiques et actionnariales, la banque centrale n’est ni une entreprise ni une banque commerciale. Elle est l’institution au sommet du système monétaire. Elle a pour missions d’assurer la stabilité des prix et de contribuer à la stabilité du système financier. Bénéfices ou pertes peuvent découler de l’exercice de ses missions mais ne sont pas des critères pertinents pour évaluer son action.

Elle a le pouvoir de créer la monnaie que les banques utilisent entre elles. Quand la banque centrale prête de la monnaie centrale aux banques ou achète des titres sur les marchés financiers, elle crée de la monnaie centrale en l’inscrivant à son passif sur le compte des banques bénéficiaires. Figure ainsi au passif de la banque centrale ce qu’elle doit. Mais ce qu’elle doit est précisément la monnaie qu’elle crée elle-même. Ainsi, une perte, aussi grande soit-elle, ne réduit pas la capacité d’une banque centrale à honorer ses engagements dès lors que ceux-ci sont en monnaie centrale. Comme le souligne la BRI, une banque centrale peut donc fonctionner avec des fonds propres négatifs.

TCF : Comment comprendre, dès lors, les signaux d’inquiétude tels que le débat sur un éventuel renflouement de la BoE par le Trésor britannique ? N’y a-t-il pas un risque de miner la confiance dans la monnaie ?

Le pouvoir de création monétaire de la banque centrale peut être mal compris sinon même ignoré. Auquel cas, une situation de fonds propres négatifs sera elle-même mal comprise et perçue comme grave. Et le simple fait de percevoir cela comme étant grave peut miner la confiance dans la monnaie et se révéler déstabilisant.

Cependant, l’acte de renflouement pourrait lui-même affecter la crédibilité de la banque centrale d’Angleterre, en même temps qu’il va…

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Auteur: Jézabel Couppey-Soubeyran, Maîtresse de conférences en économie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne