Fille de la Révolution

Je devais avoir une dizaine d’années lorsque j’ai rencontré Vera Broido. Elle n’était alors qu’une jolie ligne d’épaules blanches sous une nuque penchée et dégagée, anonymement réduite à des courbes qui faisaient presque d’elle un ange aux ailes timidement déployées. Sur cette photographie de Raoul Hausmann découverte au Musée d’art moderne de Saint-Étienne, elle n’avait ni visage, ni nom. La douceur mélancolique de ce fragment de corps m’a longtemps accompagnée grâce à une carte postale, perdue depuis.

Une bonne vingtaine d’années plus tard, je visite l’exposition consacrée à l’Allemagne des années 1920 au Centre Pompidou. De très nombreuses photographies d’August Sander ponctuent l’exposition. Au sein des Hommes du XXe siècle, son vaste panorama social et politique de l’Allemagne des années 1920, Raoul Hausmann apparaît à plusieurs reprises, notamment dans le portfolio “Femme et Homme”, le torse nu et saillant, encadré par deux femmes. À gauche, Hedwig Mankiewitz, son épouse. À droite, dans une robe aux accents constructivistes, Vera Broido.

En regardant ce visage et ce corps habillé, en interrogeant ce nom, je comprends qu’il s’agit de la femme aux ailes, mais aussi de ce même corps nu, étalé et contorsionné sur le sable d’Allemagne du Nord, dans une série de photographies prises par Hausmann au début des années 1930. J’ai alors le pressentiment que cette femme est russe, et qu’elle a beaucoup à dire.

Vera Broido est bien née russe, dans une famille de juifs révolutionnaires. Son existence et toute son enfance sont le produit de la révolution. Ses deux parents, Eva Gordon et Mark Broido, sont issus du même shtetl, situé dans l’actuelle Lituanie, et parviennent tous deux à échapper à la condition faite aux juifs dans l’Empire russe et à la zone de résidence où ils sont confinés. À Saint-Pétersbourg, à l’orée du XXe siècle, ils se…

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Auteur: dev