Fin de vie : Plutôt que des directives anticipées, parlons de directives concertées

Conformément à l’article L. 1111-11 du code de la santé publique, toute personne majeure qui le souhaite peut rédiger des directives anticipées relatives à sa fin de vie « pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté ». Ces directives permettent par exemple de préciser « les conditions de la poursuite, de la limitation, de l’arrêt ou du refus de traitement ou d’acte médicaux ». Elles s’imposent en principe au médecin, mais ce dernier peut néanmoins les écarter lorsqu’elles « apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale », comme le précise le troisième alinéa de l’article.

C’est précisément ce point qui a fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) déposée par l’avocat de la famille d’un quadragénaire victime d’un grave accident au mois de mai 2022. Écrasé par le véhicule qu’il réparait, l’homme avait subi de multiples fractures ainsi qu’un arrêt cardiorespiratoire à l’origine d’une absence d’oxygénation du cerveau de sept minutes. Plongé dans le coma, le patient avait été pris en charge par l’hôpital de Valenciennes. Après une procédure collégiale, l’équipe médicale avait décidé début juin l’arrêt des traitements, jugeant qu’ils n’avaient pour effet que de le maintenir artificiellement en vie avec des conditions de survie qualifiées de « catastrophiques ».

Or, l’homme avait rédigé une lettre manuscrite datée du 5 juin 2020 et adressée à son médecin précisant qu’en cas de coma prolongé jugé irréversible, il souhaitait être maintenu en vie, même artificiellement. Sur cette base, la famille avait porté l’affaire devant le tribunal administratif pour faire suspendre l’arrêt des soins. Sa demande rejetée, elle avait alors soumis une QPC contestant la conformité à la Constitution des dispositions du troisième alinéa de l’article L. 1111-11 du code de la santé publique, soutenant notamment que l’expression « manifestement inappropriée » était imprécise.

Dans sa décision n° 2022-1022 QPC du 10 novembre 2022, le Conseil constitutionnel a tranché : cet alinéa est bien conforme à la Constitution.

Pourquoi une telle décision ? Quelles en sont les implications ? Ne vaudrait-il pas mieux parler, plutôt que de directives « anticipées », de directives « concertées » et d’alliance éthique dans le processus décisionnel ?

Assurer la sauvegarde de la dignité des personnes en fin de vie

La loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie reconnaît aux directives anticipées la valeur d’une position « opposable » dont le médecin doit tenir compte.

L’ordonnance n° 2020-232 du 11 mars 2020 évoque cependant le cas de circonstances où ces directives s’avéreraient manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale.

Dans sa décision du 10 novembre 2022 (n° 2022-1022 QPC), le Conseil constitutionnel précise cette réserve :

« En premier lieu, en permettant au médecin d’écarter des directives anticipées, le législateur a estimé que ces dernières ne pouvaient s’imposer en toutes circonstances, dès lors qu’elles sont rédigées à un moment où la personne ne se trouve pas encore confrontée à la situation particulière de fin de vie dans laquelle elle ne sera plus en mesure d’exprimer sa volonté en raison de la gravité de son état. Ce faisant, il a entendu garantir le droit de toute personne à recevoir les soins les plus appropriés à son état et assurer la sauvegarde de la dignité des personnes en fin de vie. »

S’ajoutent les précisions apportées par le Code de déontologie médicale dans son article R. 4127-8 :

« Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance. »

Il est évident que l’approche des directives anticipées dans un contexte de réanimation médicale qui s’avère impuissant à envisager une évolution possible de l’état de santé d’une personne totalement dépendante de la suppléance technique pour survivre, justifie une concertation collégiale soucieuse de la dignité et de la justification des traitements dès lors qu’ils apparaissent vains.

Cette…

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Auteur: Emmanuel Hirsch, Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Saclay