Flora Bonfanti II : par-delà voleurs et façonneurs
« La parole poétique doit porter une promesse de sens. Si elle n’en porte pas, les pierres restent froides et le lecteur s’en va. » (64) L’étude d’un texte par la méthode de la Poétique tactique – je veux parler de l’art textuel ut talpa, soit l’exploration souterraine des opérations et des manœuvres en cours dans ce qui se présente comme achevé – se confronte à un obstacle majeur : le sens. Car à bien considérer l’objet des Poétiques tactiques ; c’est-à-dire les schèmes, schemata, ou figures opératoires ou opérationnelles extraites des œuvres ; à bien analyser l’arsenal lentement accumulé de tous ces stratagèmes, ceux-là que l’on a pu excaver de la chair vivante du poème comme de la lunaire opacité du théorème ; on peut avoir le sentiment désagréable de se retrouver face à l’ossuaire sans élan de moyens sans fin. Parce qu’un stratagème se présente comme un outil, un instrument, un moyen ou une vox media ; on croirait se priver des grandes orientations autant que des fins, refouler les objectifs suprêmes et les visions désirées de victoire. La poursuite indéfinie des armes abolissant le charme nécessaire à toute destination guerroyante : la vita vitalis, l’intensité, le sens. Où va-t-on avec tout ça ? La Poétique tactique, cherchant brûlure, ne rencontrerait que « pierre froide ». Nous nous sentirions seuls, à la fin, sous les monticules de nos jouets. Heureusement, voilà Flora Bonfanti, encore une fois, dans les Lieux exemplaires, qui nous offre une amarre où retrouver le sens.
L’outil, l’organe comme apparitions elliptiques
Bien entendu, Flora Bonfanti ne parle pas de « stratagèmes » ; c’est nous qui pensons autre chose, en ce qu’elle pense. Mais le stratagème est, pour nous, une sorte d’outil ou d’organe. Or Bonfanti nous parle d’outil ou d’organe. Et ce qu’elle dit de l’outil, de l’organe nous parle en retour du stratagème. Lisons : « Nous sommes plus intelligents que nous ne sommes. Plus intelligents en ce que nous sommes qu’en ce que nous pensons. » (45) Il y a une fébrilité de la conscience : elle est toujours « moins intelligente que ce qui l’enfante » (47) : elle pense, mais elle ne peut penser ce qui se fait en elle ni dans le corps. Et les organes du corps non plus ne voient, ne pensent, n’organent les opérations mêmes de leurs performances. L’œil ne voit pas ce qui se fait en l’œil quand advient la vision. « L’œil peut-il voir…
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Auteur: lundimatin