C’est un article sur Damas et la Syrie qui ne cherche pas à analyser la réalité d’une façon journalistique, c’est plutôt un texte qui cherche à habiter dans le regard. Intimiste, existentiel, il évite à tout prix de revisiter les domaines de la géopolitique et l’analyse conventionnelle et anticolonialiste vue de l’Europe. C’est un dialogue entre deux enfants des années 80 à Damas, l’un n’est jamais rentré depuis, et l’autre (la photographe) est retournée pendant un mois à Damas où elle a dû faire face à la dure réalité.
Basem Al Bacha est poète et hispano-syrien, il vit à Séville en Espagne.
Naoura A. est photographe et franco-syrienne, elle vit à Gaillac en France.
Basem : J’ai pensé, ou plutôt, j’ai imaginé tant de fois filmer dans le paysage syrien et voilà qu’il devient soudain difficile de continuer à imaginer. Comme si, prescrit et dicté par la réalité en tant que limite, l’acte de prendre la caméra est le seul rêve désormais possible. Filmer n’importe quoi, pas besoin de narration, filmer comme on voit, filmer comme spectateur. La ville que tu connaissais n’est plus, tu dois faire face à un autre monde que tu ne connais pas. Même les résonances ne sont pas utiles, car ce ne sont plus des sensations du passé, ce sont des souvenirs de ces sensations. La réalité est là maintenant, on peut la filmer, on peut désormais prendre des photos
Naoura : J’ai utilisé quelquefois mon appareil photo et quelquefois mon simple téléphone portable. Les gens goûtent à la liberté sous toutes ses formes. Ils sont contents de voir du monde photographier et demandent même à apparaître sur la photo. Depuis la chute du régime beaucoup de jeunes activistes ont débarqué à Damas leur appareil en bandoulière. Ils photographient, filment tout. Ils sont un des signes de la libération. Voir, montrer à nouveau. Exister. Pas de risques comme avant d’être interpellés par la sécurité…
Auteur: dev