France-Maroc le vrai-faux procès identitaire fait aux supporters binationaux

Des drapeaux marocains, algériens, tunisiens ou encore sénégalais brandis par des supporters qui ont toujours vécu en France et possèdent dans leur grande majorité la nationalité de ce pays à chaque fois, ces scènes d’avant et d’après-match ne manquent pas de susciter des débats et des controverses dans les médias, le champ politique et les milieux intellectuels. C’est notamment le cas avec le match opposant France et Maroc le 14 décembre 2022 durant la Coupe du Monde de football.

Comment peut-on être Français et supporter une équipe de football étrangère. Dès lors, l’on voit surgir toutes sortes d’explications qui tournent en général autour des thèmes du « malaise identitaire », de « la double allégeance » du « déficit d’intégration » ou encore de la « crise des banlieues » qui contribuent généralement à stigmatiser les supporters binationaux. Au mieux, à entretenir à leur égard un regard compréhensif mais à forte connotation misérabiliste. Ainsi, les supporters binationaux arboreraient les emblèmes nationaux du pays de leurs parents ou grands-parents par réaction aux discriminations subies et au racisme ambiant.

D’une manière générale, quel que soit le positionnement idéologique et politique des commentateurs du fait binational dans le champ sportif, ce sont plutôt des interprétations culturalistes et identitaires qui prédominent, évacuant la dimension sociologique du phénomène.

Un attachement à la francité assumé et transgressif

Or, aujourd’hui les manifestations de binationalité ou de plurinationalité dans le champ sportif ou dans les autres champs sociaux (politique, culturel et économique) doivent être perçues comme des pratiques sociales banalisées qui se jouent principalement au sein de l’espace public hexagonal.

Les supporters exhibent un emblème étranger, revendiquent leur soutien à une équipe africaine, arabe ou maghrébine, ou encore défilent sur les Champs-Élysées ou sur le Vieux-Port de Marseille en entonnant les hymnes nationaux du pays de leurs ancêtres, non pour affirmer une quelconque rupture avec leur société de naissance (la France) mais, au contraire, pour exprimer leur attachement à la francité sur un mode à la fois assumé et transgressif.

En ce sens, la binationalité des supporters de football l’art de passer d’un drapeau à l’autre ou de les combiner dans une même séquence temporelle vient contester les conceptions exclusivistes et puristes de l’identité nationale qui s’affirment aujourd’hui en Europe, au Maghreb et en Afrique de l’Ouest, tendant à présenter les binationaux comme des « enfants illégitimes ».

Car en France, en Algérie et en Tunisie et dans une moindre mesure au Maroc, les binationaux apparaissent de plus en plus comme des citoyens suspects. Exhiber sa binationalité dans le stade, c’est donc aussi transgresser les approches essentialistes de l’identité nationale qui font aujourd’hui un retour en force sur les deux rives de la Méditerranée, dans des contextes de crise sociale et économique marqués par la montée des populismes et des nationalismes exacerbés.

La binationalité en ligne de mire dans les pays d’origine

Sur ce plan, il convient de rappeler que la binationalité a été longtemps combattue par les États d’origine qui la considéraient comme une forme de trahison nationale, voire d’apostasie religieuse. Les parents immigrés se devaient d’éduquer leurs enfants dans le culte des héros et des martyrs des mouvements de libération nationale et il était inconcevable pour eux qu’ils deviennent « français » (la nationalité de l’ancien colonisateur). Le système des amicales et des associations liées aux États d’origine cherchaient ainsi à entretenir le « mythe du retour » dans la mère-patrie et à préserver les immigrés et leurs descendants des influences néfastes de la société d’accueil (permissivité des mœurs, pluralisme politique, liberté syndicale,, etc.)

Dans ce contexte d’émulation nationaliste post-coloniale, le champ sportif, en général, et le football, en particulier, participaient à entretenir dans les familles immigrées le sentiment d’allégeance à la nation d’origine.

Des supporters de l’équipe marocaine célèbrent la victoire contre le Portugal sur les Champs Elysées à Paris, quelques jours avant le match qui opposera France et Maroc le 14 décembre

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Auteur: Vincent Geisser, Sociologue, Aix-Marseille Université (AMU)