Fraude électorale

Umberto Boccioni, « Le Forze di una strada » (« Les Forces d’une rue »), 1911.

Qu’on s’entende : il ne s’agit pas de dire qu’il y a eu fraude dans l’élection. Il s’agit de dire que l’élection est une fraude.

C’est bien compliqué cette histoire car, en politique, on peut difficilement faire l’impasse sur les institutions, donc sur quelque forme de représentation. Donc sur quelque forme de désignation — d’élection. Or, qu’est-ce que la politique — quand elle n’est pas simplement la politique gouvernementale ? La politique, c’est du collectif en situation. Et qu’est-ce que l’élection (en tout cas la nôtre) ? L’élection, c’est l’émiettement des sujets politiques transformés en atomes par passage dans le bien nommé isoloir. Dans ces conditions, quand elle prétend être l’expression la plus achevée de la politique, l’élection n’en est que la défiguration. Rapportée à son objet qui est de « faire vivre la politique », l’élection est une fraude. Par définition, là où il y a de l’élection, il n’y a plus de politique sinon mutilée. En tout cas plus de politique qui ne soit institutionnelle, plus de politique vivante. Expérience de pensée : soit un événement ; il se passe quelque chose dans la rue, un mouvement, grand, puissant, qui ouvre une crise, profonde. On organise une élection pour en tirer le « débouché politique » : la chose meurt. C’est immanquable. Comme il y a des tue-l’amour, il y a des tue-la-politique : les scrutins.

Où aller pour trouver de la politique vivante ? Partout sauf dans un bureau de vote : dans un cortège qui prend la rue, dans une entreprise débrayée en AG, dans un amphi d’université occupée, sur un rond-point de « gilets jaunes ». Mais surtout pas dans un isoloir où, pour ceux qui ne comprennent pas bien, on se retrouve isoléindividuel, coupé de tout collectif.

Le collectif refoulé, et son retour

Lire aussi « Élections en France », Le Monde diplomatique, avril 2022.

Si la politique est, avant toute chose, du collectif en action, l’élection en est le refoulement. Mais, comme on sait, régulièrement le refoulé « fait retour ». Le plus souvent sous des formes méconnaissables. Quand les électeurs disent régler leur comportement sur les sondages, quand ils font le choix du « vote utile », ou quand ils reprochent à ceux qui ne veulent pas faire barrage de les « laisser faire le sale boulot à leur place », c’est à chaque fois le…

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Auteur: Frédéric Lordon