Fruits secs, poèmes et vipères

La rue Moutanabi, celle des libraires et bouquinistes, à Bagdad, janvier 2015

Bagdad est blême. Ses toits et terrasses sont couverts par un linceul d’albâtre qui s’unit à la nuit. Dans les eaux lourdes du Tigre, les carpes remontent à la surface, attirées par les faisceaux lumineux qui trouent le ciel et par les reflets de la pleine lune qui s’émiettent tels des perles échappées d’un écrin de velours. Ce n’est pas encore l’aube mais la ville ne dort pas. Ou plutôt, elle ne dort plus. Des explosions retentissent à l’ouest et au sud, là où se dressent quelques palais du tyran. À chaque fracas, un souffle puissant fait trembler le sol et les murs. C’est l’ombre de la guerre, encore une, certainement pas la dernière, qui déploie ses ailes. Bagdad tremble. Elle regrette ses trois murailles rondes évanouies dans l’obscurité des siècles. Mais à quoi pourraient-elles bien servir face à la vague qui va déferler ? Bagdad s’affole. Elle sent roder le spectre de Hulagu Khan. Impatient de voir déferler ses successeurs, le loup des steppes hume l’odeur du sang et de la peur. Il prend la forme d’une nuée de fils sombres et sillonne en sifflant les rues désertes. Dans les foyers, dans les rares caves et les vieux abris délabrés, des index se tendent et des soupirs ponctuent la profession de foi résignée qui sied à ces instants annonciateurs de malheurs. L’Heure approche et, avec elle, le temps de la lune fendue, ce signe manifeste de la fin des temps. Nul ne l’ignore parmi les Bagdadis. Tous, ou presque, croyants ou non, implorent la miséricorde du Maître de l’univers ou la protection de la Vierge Marie, meilleure femme de tous les temps.

À l’est de la ville, en bordure de Saddam-City, dans la chambre à coucher d’une petite maison en briques grises, un nouveau-né hurle. Allongé dans une corbeille en feuilles de palmiers, les poings serrés, il projette les pieds vers l’avant, ses yeux noirs prêts à jaillir de leurs orbites. Gamra, sa mère, la trentaine, le corps bien en chair et le visage fin, bondit du lit et manque de se prendre les pieds dans sa robe de tissu rouge. Wathiq, le père qui s’est levé aussi, la rattrape brutalement par le bras.

— Laisse-le pleurer, ordonne-t-il d’une voix caverneuse creusée par le mauvais tabac.

Habillé d’un pantalon de pyjama à rayures et d’un maillot de corps militaire, il semble furieux sans que sa femme ne sache si c’est à cause des explosions ou des pleurs de l’enfant. C’est un homme roux, chétif,…

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Auteur: Akram Belkaïd