Fukushima, un douloureux retour

Renaissance. Tomioka, 2021.

© Cécile Anasuma-Brice

Les commentaires animés de notre conductrice soudain s’interrompent. « Masaka ! ». Yoko a arrêté le véhicule, froncé les sourcils. Elle frotte d’un revers de main la vitre embuée du pare-brise. « Masaka ! » (C’est pas vrai !). « Pourtant, c’est bien là ! C’était bien là… ». Tout autour de nous, le vide. Plutôt un espace sans verticalité, pansé, bandé à grands renforts de ciment gris et de bitume noir ; un art du terrassement qui tient de l’embaumement. Au milieu de nulle part.

Nous sommes pourtant bien au cœur de Tomioka, une petite commune jouxtant la centrale nucléaire de Fukushima, forte de quinze mille personnes avant la tragédie du 11 mars 2011. Le territoire, fermé il y a encore six mois, a été rouvert en totalité. Et, à l’ordre d’évacuation de 2011 répond, dix ans plus tard, une nouvelle injonction : « Revenir à la maison ». Avec peut-être en écho dans la tête des cent soixante mille personnes de la région qui avaient été évacuées : « Ne surtout pas perdre la raison ».

Tomioka, 2021.

© Cécile Anasuma-Brice

Tomioka, 2021.

© Cécile Anasuma-Brice

Lire aussi Kan Naoto, « “Le jour où le Japon a failli disparaître” », Le Monde diplomatique, août 2019.

Un an après l’accident, nous nous étions rendus dans cette petite ville. Les dégâts étaient vertigineux. Une lumière étale que plus rien n’arrêtait courait de gravats en gravats, s’irisant parfois au soleil comme du verre pilé. La petite gare donnant sur la mer avait disparu. Tomioka avait pris de plein fouet la catastrophe dans son triple enchaînement : le séisme, le tsunami, les explosions de trois des six réacteurs de la centrale. La commune était dévastée. Tout avait été emporté : les maisons, les échoppes, les ateliers, les ruelles, les lampadaires qui, à la tombée de la nuit, feutraient d’une douce lumière le petit centre-ville d’époque Shôwa (1926-1989). Seul tenait encore à moitié debout l’échoppe du barbier avec son horloge et une paire d’aiguilles définitivement fixées sur l’heure du séisme. Et puis la boutique disparut sous les pelleteuses comme Tomioka qui n’a conservé que son nom.

Du ciment sur les plaines

Depuis, une nouvelle gare est apparue. Sa singularité nationale, qu’elle partage seulement avec les deux autres gares reconstruites à proximité de la centrale, est d’être entièrement automatisée : des guichets…

La suite est à lire sur: blog.mondediplo.net
Auteur: Cécile Anasuma-Brice & Philippe Pataud Célérier