Géolocalisation des enfants : une nouvelle forme de surveillance parentale

Parmi les stratégies des parents pour surveiller les activités de leurs enfants, la géolocalisation est une pratique à la fois singulière et de plus en plus courante. Singulière, dans la mesure où la demande parentale de transparence vis-à-vis des usages numériques de leurs adolescents s’arrête le plus souvent aux frontières du domicile, alors que la géolocalisation dépasse nettement ce cadre. Courante aussi, car de nombreuses applications mobiles sont aujourd’hui focalisées sur le suivi géographique des jeunes au sein du cercle familial (Find My Kids, Google Family Link, Apple FindMy, etc.)

Comment les jeunes vivent-ils le fait d’être localisés et quelles sont les conséquences potentielles de ce traçage sur leur autonomisation ? Comment le dispositif technique s’inscrit-il dans l’exercice de la parentalité ? Enfin, le recours à la géolocalisation dans le cercle familial joue-t-il un rôle sur la communication ou encore la relation de confiance entre parents et enfants ?

Ce sont des questions que nous avons explorées à travers un travail de recherche constitué d’une série d’entretiens individuels menés auprès de parents qui ont déclaré géolocaliser leur(s) enfant(s) d’une part, et d’adolescents qui ont déclaré être géolocalisés d’autre part (qui sont, pour certains, les enfants des parents interrogés). Retour sur les principaux résultats.

Un enjeu sécuritaire

Selon les parents de notre enquête, le recours à la géolocalisation ne résulterait pas d’un excès de curiosité ni même d’une volonté d’envahir la vie privée des enfants. Cela traduirait plutôt une volonté de bienveillance face à un environnement extérieur propice au danger ou, a minima, à l’incertitude.

Précisons que les parents interrogés se situent exclusivement dans des zones urbaines, une donnée importante ici puisque leurs témoignages mettent en avant les risques inhérents à la ville : « quand je vois ce qu’il se passe dans certains quartiers, je suis très content quand ma fille part et qu’elle m’appelle », explique Virginie, 38 ans, professeure des écoles. Commercial de 46 ans, Stéphane ajoute : « quand vous voyez ce qu’il s’est passé à Nice, je me dis que pour ne pas vouloir savoir où se trouvent ses enfants, il faut être irresponsable ».

Si Virginie ne localise qu’occasionnellement sa fille et reste le plus souvent dans l’attente de son appel, Stéphane est plus tranché : parce que l’outil est désormais à disposition, ne pas y avoir recours engage, selon lui, la responsabilité parentale. Si l’information géographique ne garantit en rien la sécurité des enfants face à des aléas qui se produisent en temps réel, la vérification de leur emplacement servirait à colmater au moins en partie le réservoir de peurs des parents.

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Le cas des quartiers jugés « sensibles » par les parents n’est pas sans rappeler les travaux de Clément Rivière sur l’identification et la gradation d’espaces perçus comme « protégés » en dehors du chez-soi, sous-entendant que d’autres ne le sont définitivement pas.

L’usage de la géolocalisation ne permettrait pas seulement de vérifier la position de l’enfant, mais aussi de le situer spatialement – et donc socialement – par rapport à un ensemble de lieux identifiés comme plus ou moins sécurisants en ville.

Répondre à des incertitudes

Pour d’autres parents interrogés, le suivi de la position géographique ne s’effectue que si l’enfant ne répond pas à un appel ou à une sollicitation. Cette modalité de surveillance n’est pas systématique, elle s’apparente à un « dernier recours », lorsque l’exigence parentale d’être joignable ne se trouve pas comblée.

Mohamed, cadre dans le privé de 39 ans, montre qu’il s’autorégule dans son recours à l’outil, car il explique que géolocaliser son fils est « malsain », sauf dans une situation bien précise : « s’il n’est pas rentré à l’heure prévue, qu’il ne répond pas au téléphone, voilà… Ce sont des cas où l’on commence à paniquer ».

La géolocalisation servirait à colmater, au moins en partie, le réservoir de peurs des parents.

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Auteur: Yann Bruna, Maître de conférences en sociologie, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières