Georges Ibrahim Abdallah. Préparatifs d'anniversaire. — Badia BENJELLOUN

Mercredi 24 mars 2021

À Georges Ibrahim Abdallah

Dans les rues dévalent les mémoires rougies des martyrs oubliés. Seuls les conservaient encore d’opiniâtres oeillets dans la touffe de leurs pétales sanglants.

Les guerres conduisent aux guerres, du plus lointain que l’olivier se souvienne. Les mouettes sur le môle jacassent et les racontent. Hier, un drone a changé en poussière fine le fileyeur d’un pêcheur parti du port de Rimal, des vagues en colère se sont écartées puis se sont repliées pour accueillir l’homme disloqué.

Des déchirures fugaces dans le temps donnent parfois naissance à des printemps lumineux où s’accordent les astres pour danser sur une musique composée dans un langage neuf.

Dans peu de jours, le deux avril, les papillons hébétés de lumière défroisseront leurs ailes à Kobeyat pour rappeler aux collines boisées que tu y as vu le jour il y a soixante-dix ans. Les jardins se sont agrandis, l’enfance s’est élevée à la cime des cèdres. Le lieu, ses peupliers enveloppés d’un vert rajeuni, les chevaux au cœur bondissant soupirent sans comprendre ton exil et attendent ton retour.

La terre de ton pays, le Liban, enivrée du parfum du lilas, risque de se pétrifier si dure encore ton absence. Les jeunes épis se dresseront pour te réclamer.

Une jeune femme est venue te le confier.

Là où te garde l’ennemi.

Le dragon que tu as combattu projette ses tentacules jusqu’au pied des montagnes des Pyrénées. Lannemezan abrite une hétérotopie. Une anfractuosité dans l’espace-temps où tu es retenu pour n’avoir pas convenu que le plus fort en armes sophistiquées peut dominer, asservir, exploiter voire néantiser sans que le plus faible ne lui rétorque qu’il n’est pas invincible. Que sa fragilité est proportionnelle à l’inverse du carré de son extension spatiale et de sa démesure technocratique.

Ton pays, création mal intentionnée de l’ancien occupant français, vient à toi !

Il a dépêché une ministre de la Justice pour te rendre visite et tenter de réparer l’injustice commise par tes geôliers. Les gardiens à ta porte ont inventé à ton propos la catégorie des Prisonniers Longue Durée car pour eux l’insolente résistance à une armée d’envahisseurs est inexpiable et doit être punie par une incarcération à vie.

Inhumaine et piètre mesure à la fois.

Les principes de justice sociale que tu as défendus et que tu incarnes ne souffrent pas de ton enfermement. Ils se sont fortifiés dans le limon de tes années en prison, se sont élevés dans l’azur,…

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Auteur: Badia BENJELLOUN Le grand soir