Greenwashing : le mécène, un pollueur-payeur comme les autres ?

À l’occasion de la dernière COP27 qui s’est tenue en novembre 2022, des voix se sont élevées pour blâmer le parrainage de l’évènement par Coca-Cola. Emma Priestland, membre de l’ONG Break Free From Plastic, a ainsi dénoncé une opération de greenwashing conduite par la marque, qui est l’une des plus grosses consommatrices de plastique au monde.

Coca-Cola figure en effet en tête du classement des entreprises les plus pollueuses, selon les résultats d’un classement établi par l’ONG en s’appuyant sur la collecte de déchets dans près de 90 pays et territoires du monde entier (rues, parcs, forêts, plages, etc.).

Cette mise en question du mécénat n’est pas isolée. Nombreuses sont les situations où la générosité des mécènes est interpellée et où la question éthique est publiquement posée. On aurait ainsi pu évoquer dans l’actualité récente la fronde d’un groupe d’étudiants de l’École Polytechnique contre l’implantation sur leur campus d’un centre de recherche dédié au « luxe durable et digital » par le groupe LVMH.

Parmi les affaires qui ont fait le plus de bruit dans un passé très proche, le scandale de la famille Sackler s’impose à l’esprit. La famille propriétaire de laboratoires pharmaceutiques, grande mécène pour le monde de l’art, a été accusée d’avoir diffusé en connaissance de cause un médicament antidouleurs hautement addictif ayant conduit à la mort de nombreuses personnes.

Doit-on considérer ces différents cas comme relevant d’une même dérive de l’action de mécénat ? D’évidence, non. Le retour à ce que les économistes appellent le principe du pollueur-payeur permet d’éclairer ce débat.

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Pollueur-payeur ou philanthropie

Ce principe fut introduit par Cécil Pigou dès les années 1920. Il a le mérite de la simplicité et de la logique : faire supporter les coûts d’un préjudice à celui qui les a causés, lorsque le marché ne résout pas cette question naturellement. Une taxe est alors mise en place afin de compenser cette externalité négative.

Par exemple, le prix de l’essence ou du gazole intègre une taxe collectée par l’État afin de compenser les coûts induits en pollution que fait supporter l’automobiliste qui utilise ces carburants. La taxe est proportionnelle à la quantité d’essence achetée et plus l’automobiliste circule plus la compensation versée à l’État est élevée. Le principe s’est popularisé du fait de sa large application au champ de l’environnement.

Dans le cas de la philanthropie, l’entreprise donatrice cherche en bien des cas à corriger le préjudice qu’elle a éventuellement contribué à occasionner – directement ou indirectement. Il existe toutefois une différence de taille avec la taxation opérée par l’État : tandis que dans le cas classique de pollueur-payeur, le montant et la forme du préjudice relèvent du régulateur public, dans le cas du philanthrope c’est lui-même qui choisit les modalités de la réparation et son montant, et qui définit, en quelque sorte, la règle du jeu.

Le philanthrope apparaît in fine comme le sauveur et le bienfaiteur désintéressé réparant des dommages dont il entend faire valoir qu’ils ne sauraient lui être complètement imputés. C’est là une sorte de mise en abyme du don, où le donateur s’impose à lui-même ce qu’il reconnaît (ou non) comme un dommage ou un profit teinté d’une part d’illégitimité. Le méfait entraîne un don qui, d’une certaine manière, autorise la poursuite d’une activité éventuellement dommageable, et entraîne en retour une nouvelle action de « générosité ».

Des receveurs qui ferment les yeux

Les institutions receveuses, aux finances asséchées par les crises et soucieuses de déployer de nouveaux programmes, se prêtent volontiers au jeu. Elles développent divers moyens en communication afin de trouver des financements privés, quitte à fermer les yeux (ou à ne pas les ouvrir complètement) sur le…

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Auteur: Françoise Benhamou, Professeure émérite à l’Université Sorbonne Paris Nord et présidente du Cercle des économistes, Université Sorbonne Paris Nord