Grèves : les syndicats doivent-ils durcir le mouvement pour peser ?

Le quatrième acte de la mobilisation contre la réforme des retraites – le 11 février 2023 – a montré que celle-ci reste forte et continue à bénéficier d’un large soutien populaire. Le nombre de manifestants est même remonté à près d’un million d’après les chiffres du ministère de l’Intérieur.

En nombre de participants, ce mouvement est donc au niveau de des plus grandes mobilisations sociales depuis une trentaine d’années. Le 31 janvier 2023 a même constitué un record avec près de 1,3 million de manifestants (dépassant la manifestation du 12 octobre 2010, contre une précédente réforme des retraites, sous Nicolas Sarkozy, qui avait réuni plus de 1,2 million de manifestants.

Cependant, en dépit de la sortie de la crise sanitaire ou de l’augmentation du nombre de salariés, le niveau de mobilisation ne progresse pas sensiblement.

Certes, les syndicats font un important travail de communication – très unitaire –, d’organisation et d’encadrement pacifique des manifestations. Un million de personnes dans les rues c’est également au moins un tiers de plus que lors du précédent mouvement contre la réforme systémique des retraites, en 2019-2020, finalement abandonnée.

S’inscrire dans l’histoire sociale

De ce point de vue, l’implication effective de la CFDT – au contraire de ce qui s’est passé en 2019 – et une unité syndicale sans faille ont permis de faire la différence. Mais il faut compter aussi avec un mécontentement social latent, en lien avec l’inflation et le surenchérissement des prix de l’énergie et de l’alimentation, qui n’est pas nécessairement encadré par les syndicats, certains manifestants préférant même défiler sous aucune bannière syndicale. Malgré cette réussite, avec plus de 2 millions de syndiqués revendiqués par les diverses organisations, il reste du potentiel pour conférer une dimension historique à la contestation.

C’est sans doute le choix d’un répertoire d’action – selon le terme du sociologue Charles Tilly – trop classique ou trop bien encadré, qu’il faut interroger : celui de la manifestation de rue, lors d’une journée, en semaine ou le week-end.

Mais peut-il en être autrement ? On voit aussi que, contrairement au calcul fait pour mobiliser davantage de gens du privé, le choix du samedi ne fonctionne pas plus qu’un jour de semaine (voire moins).

Si certains salariés du privé sont bien présents dans les cortèges, et sans doute en plus grand nombre que d’habitude (au vu de taux de grévistes plutôt en recul dans les services publics), ils restent encore minoritaires.

Ainsi, la stratégie privilégiée par les syndicats depuis plusieurs années, soit des manifestations pacifiques, fondées sur le « nombre », malgré des succès passés, ne suffit pas – pour le moment – pour trancher le désaccord social sur la réforme des retraites. Dès lors que faire ?

Durcir le mouvement ?

Les syndicats hésitent entre continuer à manifester ou faire grève. Certains se disaient favorables à ce « durcissement » depuis le début, notamment des fédérations de la CGT – cheminots, énergie, chimistes (dont les raffineurs)… – mais aussi l’Union syndicale Solidaires (qui rassemble les syndicats SUD), connues pour son radicalisme et une type de syndicalisme « à l’ancienne », fondé sur le militantisme et, souvent, le conflit ouvert.

Mais que signifie le mot « durcissement » ? Il est censé illustrer une gradation dans l’action collective.

Manifestation contre un plan social à Air France, le DRH avait été pris à partie physiquement par les militants, 2015, BFM TV.

Celle-ci ne consistera plus seulement en des défilés pacifiques et intermittents – certains syndicalistes critiquant au passage des journées « saute-mouton » peu efficaces.

Il s’agira d’actions plus déterminées, voire plus violentes (même si le terme reste tabou) et continues. L’objectif est d’engendrer des désordres dans l’économie ou dans la vie sociale ou quotidienne – étant entendu que les salariés se montreront compréhensifs puisqu’il s’agit de leur bien – pour faire céder un gouvernement sourd aux seules manifestations de rue.

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Auteur: Dominique Andolfatto, Professeur des Universités en science politique, Université de Bourgogne – UBFC