Guanzhou, le village qui n'existait plus

Village de Guanzhou (2011-2017)

Image tirée du film © Boris Svartzman

Le chemin serpente au milieu des éboulis de vieilles demeures éventrées. La caméra filme. Avec pour tout écho les craquements des briques et tuiles sous les pas du vidéaste. Les herbes folles colonisent chaque pan de mur et de toiture effondrés. La nature a repris ses droits. Là où les villageois ont visiblement perdu les leurs.

C’est en 2008 que, sur ordre des autorités locales, les habitants de Guanzhou furent chassés et leurs maisons détruites. Sociologue de formation, sinologue et photographe, Boris Svartzman suit de près ces terres villageoises menacées, dès les années 2000, par la réquisition en raison du développement urbain. Canton, qui comprend plusieurs îles, s’étire. Son expansion annexe les terres agricoles. Les paysans privés de terre se voient soudain urbanisés en dehors de tout exode rural : ce ne sont pas eux qui ont quitté leur terre mais la ville qui est venue à eux. Et les a chassés.

« Depuis trois décennies, rappelle Boris Svartzman, cinq millions de paysans sont chaque année expropriés » ; obligés de, selon l’expression chinoise, « monter dans les immeubles. Si 85% des Chinois étaient ruraux dans les années 1950, ils sont moins de 40 % aujourd’hui ». En cause, l’étalement urbain décliné sous différentes formes : infrastructures routières, sites industriels, projets immobiliers aimantés par une spéculation foncière effrénée touchant aussi bien les villes que les campagnes. Une manne à l’échelle du pays (18 fois la France), surtout pour son élite politico-financière.

« Si Guanzhou n’est pas toute la Chine, rappelle l’un de ses habitants, partout en Chine, il se passe les mêmes choses ». Un cas d’école mais une énième tragédie dont le sociologue entend témoigner au plus proche. En filmant les prises de paroles d’une poignée de villageois revenus vivre clandestinement sur leurs terres natales. Un exercice délicat — sous la constante surveillance d’hommes de main ou de policiers — que le documentariste va mener, au fil de conversations progressivement détachées de toute autocensure au cours de ses cinq voyages entre 2011 et 2017. Les analyses sont lucides, les mots forts, amers, révoltés. À la mesure des humiliations et des tabassages subis. Sur la totalité des plans filmés (150 heures), 71 petites minutes seront montées pour faire résonner ces voix progressivement assourdies par…

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Auteur: Philippe Pataud Célérier