Hausse des atteintes à la laïcité : des chiffres qui interrogent

Depuis la dernière rentrée scolaire, le port par des élèves de signes à destination ou à connotation religieuse connaît une augmentation sensible, d’où l’importance prise par le thème des « atteintes à la laïcité ». On est ainsi passé de 313 signalements de cet ordre en septembre 2022 à 720 en octobre, soit plus du double.

Une enquête commandée à l’IFOP par la Fondation Jean Jaurès et Charlie Hebdo, publiée en janvier 2021 suite à l’attentat contre Samuel Paty et portant sur les « contestations de la laïcité et les formes de séparatisme religieux à l’école », donnait déjà des résultats inquiétants. Près d’un enseignant sur deux (49 %) y affirme avoir été contesté dans son enseignement sur des questions religieuses ; 80 % des professeurs déclarent avoir été confrontés au moins une fois au cours de leur carrière à une revendication liée à des croyances religieuses (dispense de cours, menus spéciaux à la cantine, etc.)…

L’enquête nous informait aussi, poussant l’inquiétude à son comble, que 25 % des enseignants donnent tort à Samuel Paty d’avoir fait son cours sur la liberté d’expression à partir des caricatures du Mahomet.

La publication le 9 novembre 2022 d’une circulaire ministérielle détaille les réponses que les établissements scolaires doivent donner à ces atteintes. Elle prévoit une gradation des réponses, allant du dialogue avec l’élève, première étape obligée, jusqu’à l’exclusion, les conseils de discipline pouvant être délocalisés lorsque la situation est jugée sensible.

La signification incertaine d’un phénomène déjà ancien

En vérité, le problème est loin d’être nouveau. C’est déjà lui qu’entendait résoudre la loi de 2004 interdisant le port ostensible de signes religieux à l’école. La même année, un rapport de l’inspection générale, présenté par Jean-Pierre Obin (Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires) alertait déjà sur l’importance croissante du phénomène.

Deux ans plus tôt était publié l’ouvrage collectif Les Territoires perdus de la République, dénonçant les manifestations grandissantes d’antisémitisme de la part d’élèves d’origine musulmane. Depuis, l’alarme a sonné régulièrement, notamment lorsque des minutes de silence organisées dans les établissements scolaires en 2015 après l’attentat contre Charlie Hebdo ont été perturbées ou, plus récemment, dans le contexte de l’assassinat de Samuel Paty.

Cela fait donc au moins vingt ans que les contestations du principe de laïcité à l’école sont régulièrement l’objet d’une inquiétude publique, voire près de 35 ans, si on fait remonter l’histoire aux premières affaires du voile à l’école, à la rentrée 1989. Or, la permanence même du phénomène, son retour périodique sur le devant de la scène politique et/ou médiatique, n’est pas sans poser à la notion même d’« atteinte à la laïcité » un certain nombre de problèmes.

Comment expliquer l’augmentation des atteintes à la laïcité à l’école ? (France Culture, 2022).

Le premier d’entre eux est qu’une telle récurrence est de nature à relativiser l’importance du phénomène. Depuis le temps qu’il dure et qu’il est dénoncé, les progrès ne sont guère en effet apparents. 720 signalements en octobre dernier, c’est évidemment beaucoup plus que les 313 recensés en septembre. Mais d’une part, cette augmentation n’est pas si simple à interpréter : témoigne-t-elle d’une progression objective du nombre de cas d’atteinte au principe de laïcité ou bien d’une moindre réserve de la part des établissements à les signaler ? D’autre part, en regard des 60 000 établissements (écoles, collèges, lycées) existants en France, la proportion reste faible.

La question se pose aussi de savoir s’il convient d’isoler les comportements identifiés comme « atteintes au principe de laïcité » d’autres manifestations de contestation en général d’un ordre scolaire qu’un certain nombre d’élèves semble avoir de plus en plus de difficulté à intégrer. Il serait d’ailleurs intéressant de savoir quels sont les contextes scolaires spécifiques dans lesquels ces contestations s’observent : tous…

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Auteur: Pierre Kahn, Professeur des universités émérite, Université de Caen Normandie