Il faudra faire avec nous

« Il faudra faire avec nous », c’est le titre de cet épatant et haletant premier ouvrage de Lë Agary. Comme son éditeur (Les Étaques) le précise, on ne sait pas trop s’il s’agit d’un manuel de sabotage déguisé en roman ou bien un roman déguisé en manuel de sabotage. C’est en tous cas une fiction qui nous plonge dans le quotidien d’une jeune activiste et de ses amis résolus à amender le monde à coups de coupes-boulons et d’audace, de bombes de peinture et d’humour, de cocktails molotovs et de caresses. Le récit s’étale et se découpe au fil des sept jours d’une semaine, nous avons tout naturellement choisi de vous faire lire le lundi.

lundi

Nous sommes rentrés très tard je crois. J’appuie sur répéter et m’octroie dix superbes minutes de sommeil supplémentaires. Malgré moi je pense à ce type qui chaque matin se demande comment aujourd’hui il va gagner un peu plus sur la marge. Chaque matin ce type cherche le centime, le minuscule après la virgule. Cet infime rassemble toute son énergie et nuit à mon sommeil. Comme chaque matin je me demande comment aujourd’hui je vais réduire la marge de ce type. Je me lève. Un peu trop vite. Je me rassois. Ça tangue un peu. Dire que l’autre est debout depuis trois heures. Il est allé à la salle de sport aux aurores, il boit son quatrième café. Il a probablement déjà réduit le bien-être d’une poignée de personnes, il va bientôt en être félicité. Je l’ai appelé Franck. Franck a mon âge, il gagne beaucoup plus d’argent que moi mais ça ne lui suffit pas. Il raisonne en N+ et en N-. Il rêve qu’un matin il pourra compter les N+ sur les doigts d’une seule main. Le groupe des N- grossit, le sexe de Franck aussi, he’s a big dick player baby. Je préfère le thé, c’est moins efficace, ça réveille en douceur. J’allume la radio, Nadal a encore gagné sur la terre battue, voilà de quoi me gâcher la journée, tout est figé, rien ne veut changer. J’ai un énorme bleu sur l’avant-bras, je le frotte comme s’il pouvait partir, il me rappelle qu’il est avant tout une blessure dont la douleur peut se réveiller. Je n’ai pas eu les titres des infos, je me demande si je n’ai pas rêvé ce que nous avons fait. J’ai le cerveau qui se retourne comme une crêpe, elle retombe toute chiffonnée et je m’accroche aux détails de cette nuit pour m’assurer de leur tangibilité. On est rentrés très tard je crois. Je me masse à nouveau l’avant-bras pour solliciter la douleur et l’associer à un souvenir, ça ne marche…

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Auteur: lundimatin