Images de science : des dépôts fantomatiques dans les Cyclades

Cette tache sous-marine à l’allure fantomatique témoigne d’échanges de fluides depuis la croûte terrestre jusqu’à la surface, à travers le plancher océanique. Nous sommes ici dans la baie de Paléochori sur l’île de Milos, en Grèce, où une activité hydrothermale peu profonde produit des précipités jaunes caractéristiques du soufre et de l’arsenic, et des tapis bactériens blanchâtres qui semblent presque luminescents.

La circulation d’eau chaude dans les profondeurs de la croûte, ou « hydrothermalisme », est largement répandue sur Terre. Elle est favorisée par la proximité de sources de chaleur, comme les chambres magmatiques, et les sorties hydrothermales associées sont responsables d’environ 25 % de la perte de chaleur terrestre interne. Outre ces effets thermiques, les processus hydrothermaux ont un impact direct sur la biodiversité environnante, avec le développement d’une faune et d’une flore particulières.

Ces sorties hydrothermales sont bien décrites pour des environnements très profonds, notamment le long des dorsales océaniques.

Mais on trouve aussi des systèmes hydrothermaux proches des côtes, au large de l’île de Milos ou de Taïwan par exemple, à des profondeurs inférieures à 200 mètres. Alors que des sites peu profonds ont été identifiés dans le monde entier, ils sont moins étudiés et leurs géométries, leur évolution temporelle et les flux d’énergies associés sont mal connus.

Nous étudions ces systèmes afin de comprendre les échanges entre la terre solide et les océans et le développement d’écosystèmes dans des milieux extrêmes.

L’île de Milos et la baie de Paléochori

Au sud de la mer Égée et sur l’archipel des Cyclades se trouve le système hydrothermal peu profond le plus étendu au monde – et un des plus étudiés à l’heure actuelle. Dans la baie de Paléochori, au sud-est de l’île de Milos, une activité hydrothermale intense s’étend depuis la plage jusqu’à plus de 200 mètres de profondeur, soit à environ 1,5 kilomètre à la nage.

Cette activité se manifeste entre autres par des émissions de fluides acides de haute température, de l’ordre de 100 °C. Ces fluides contiennent des gaz (dioxyde de carbone, méthane) et se mélangent avec l’eau de mer au cours de leur circulation en profondeur. Ce « voyage crustal » leur permet également de devenir salins, sulfurés, et de s’enrichir en arsenic et autres gaz dissous.

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Les sorties hydrothermales sont souvent associées à des précipités jaunes ou orangés de sulfure d’arsenic, et à des précipités blancs d’origine minérale composés d’un mélange de silice et de soufre associés à des tapis bactériens. Ces dépôts sont visibles depuis l’espace sur des images satellites jusqu’à 30 mètres de profondeur, et permettent d’identifier des patchs, des structures linéaires et des structures polygonales qui résultent en surface de cellules de convection en profondeur.

Un projet multiéchelles et multidisciplinaire

Des données d’imagerie de drone et de véhicule autonome sous-marin acquises par notre équipe en 2019 permettent de cartographier ces structures à des résolutions proches du centimètre.

Les mesures de température au sein de ces structures éclairent notamment des mécanismes thermiques particuliers : par exemple, les structures polygonales blanches identifiées sur les images sous-marines présentent des températures plus élevées (supérieures à 50 °C) que les sédiments adjacents (de l’ordre de 24 °C) et sont souvent associées à des zones de « bioturbation », un remaniement des sédiments par des organismes vivants.

Nos résultats fournissent une vue d’ensemble de ce système hydrothermal peu profond et de l’organisation de la circulation de fluides à travers le plancher océanique. Ils apportent de premières perspectives sur les flux de chaleur du système et sur les communautés microbiennes contrôlées par cette activité hydrothermale.

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Auteur: Valentine Puzenat, Doctorante en Géosciences Marines, Institut de physique du globe de Paris (IPGP)